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Pauline Bonnet's emotional objects

On continue notre voyage en terre méditerranéenne. Cette fois-ci, nous partons à la rencontre de l’artiste plasticienne Pauline Bonnet. Tout juste diplômée de La Cambre à Bruxelles, elle se construit un nouveau cocon créatif à Marseille. 

Sa pratique se concentre autour de deux arts, celui de la céramique et du verre. Elle a fait de ses objets à la fois des absorbants et des révélateurs d’émotions. Sa recette magique se trouve dans les techniques qu’elle a développées. La fabrique de ses « pots-pourris » aux couleurs délicates laissent apparaître des aspérités irrégulières et traduisent un langage émotionnel fort.

Pour autant, elle n’oublie pas l’impact que produit la céramique sur notre environnement. 

Nous avons donc échangé avec elle sur ses savoir-faire et son univers. 

Une rencontre passionnante avec une artiste passionnée.

RÉUNI : Peux-tu te présenter ? 

PAULINE BONNET : J’ai 27 ans, je suis une jeune artiste céramiste basée à Marseille.

 

R : Quel a été ton parcours ? 

PB : Je suis née à Orange, dans le sud de la France. J’ai commencé mon cursus par un bac arts appliqués à Nîmes et à mes 18 ans je suis partie à Paris étudier le design textile, surfaces et matériaux à l’École Duperré. J’y ai appris à développer une approche prospective des matériaux où je pouvais toucher à tous les médiums que je voulais. Mes recherches étaient déjà principalement axées sur la travail de la couleur, du motif et de la texture, et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à travailler la céramique. J’ai continué un an dans cette même école en section céramique. Par la suite, j’ai passé cinq ans à La Cambre dont j’ai été diplômée l’an dernier.

R : Pourquoi avoir choisi Marseille ? Et comment apprivoises-tu cette ville ? 

P : Ça faisait des années que je voulais m’y installer. J’hésitais entre rester à Bruxelles ou déménager à Marseille. J’ai choisi cette option pour créer une nouvelle dynamique et me rapprocher de ma famille et de mes amis. Je m’y sens très bien parce que ça fait partie de mon identité, mais aussi parce que c’est une ville éclectique avec une histoire. Il y a une effervescence en ce moment avec de nombreux artistes qui s’y installent et de nouvelles initiatives mises en place par de grands acteurs culturels qui s’intéressent enfin au territoire Sud.

R : Tu viens tout juste d’emménager à Marseille, comment as-tu réfléchi cet endroit et quelle place occupe la céramique et le verre soufflé ? 

P : J’ai trouvé cet appartement très facilement, grâce au bouche à oreille. Depuis mes années à Paris, j’ai accumulé beaucoup d’objets, dont j’ai du mal à me séparer. Il y a des pièces faites par mes amis, certaines que j’ai échangées ou d’autres sont chinées. 

« Tous ont une histoire. Pour moi, il y a une mémoire dans les objets. »

En ce qui concerne les pièces en verre soufflé, ce sont surtout mes créations et quelques objets m’ont été offerts par le Cirva (ndlr. Le Centre International de Recherche sur le Verre et les Arts Plastiques). C’est là où j’ai fait mon stage de fin d’études ; c’est un centre d’art unique en son genre en France et en Europe, qui invite en résidence des artistes et des designers non verriers et internationaux depuis plus de 30 ans. Ils y travaillent en étroite collaboration avec des techniciens qui mettent leur savoir-faire exceptionnel au service de la création. Les résidences s’étalent souvent sur plusieurs années et représentent des opportunités incroyables pour les artistes invités qui peuvent réaliser leurs projets les plus ambitieux.

R : Qu’est-ce que tu aimes dans la céramique ? 

P : J’aime le rapport à la matière, le fait d’avoir les mains directement dedans mais aussi le fait que ce soit une pratique libre qui permet toutes les formes et les textures. Tu peux être ambitieux et suivre ton intuition à partir du moment où tu te donnes les moyens techniques et que tu fais des recherches. C’est un médium dont on ne se lasse pas. Les matières proviennent littéralement de la terre et rien qu’en cela, c’est très organique et naturel. Grossièrement, avec de l’argile et du feu, on fabrique quelque chose de pérenne et je trouve ça beau et poétique. 

« Après ces années de pratique, je me vois mal réutiliser des matières synthétiques, ça n’a pas de sens pour moi. Aujourd’hui je préfère me tourner vers les arts du feu, avec la pratique du verre et de la céramique, vers des techniques artisanales et des matériaux ancestraux.»

R : Comment définirais-tu ton travail aujourd’hui ? 

P : Je me définis comme une céramiste plasticienne. Ma pratique ne se limite pas qu’à la céramique, et même si ces derniers temps j’ai produit des objets utilitaires, j’envisage plutôt ma production sous forme d’installations composées de séries ou de collections.  

« J’essaie de créer des simulacres d’intérieurs. Ce n’est pas l’objet qui m’intéresse mais les ambiances que je vais créer avec. »

Le plus important dans ma pratique, c’est aussi le travail de la couleur, de la texture et de la matière. Depuis deux ans, mes recherches tournent autour de l’objet domestique, compris dans un dialogue en miroir entre intérieur et intériorité, entre ce qui se trouve chez soi et en soi. Pour mon diplôme, je me suis questionnée sur comment un intérieur peuplé de bibelots peut être une forme d’auto-portrait. Et au-delà de ce que j’y déverse, moi, ce qui m’intéresse, c’est de savoir ce que les gens projettent dans les objets que je produis. J’ai envie de leur laisser la liberté de s’en emparer et d’y projeter leurs propres fictions et fantasmes.

R : Et toi, que souhaites-tu projeter dans ces objets ? 

P : Mon projet de diplôme (que je poursuis actuellement) se composait de grands vases que j’ai émaillé avec du plomb et du baryum, soit deux matières premières des plus toxiques que l’on puisse trouver. Ce choix est complètement délibéré. Pendant mes études, j’ai fait des séances d’hypnothérapie pour pallier mes angoisses. Sans savoir que j’étais céramiste, la thérapeute m’a demandé de visualiser un grand vase où je déverserais mes angoisses. Ça a été un déclic et je me suis lancée dans la production d’un pot dans lequel mettre ces émotions. Je me suis donc questionnée sur comment rendre compte de ce que j’y avais mis. D’où cet émail très toxique qui demande de grandes précautions d’usage tout au long du processus de fabrication, mais qui une fois cuit, et pour un usage sculptural, n’est plus dangereux. 

« Ces pots sont devenus une catharsis de toutes mes angoisses. C’était une manière de déverser ma peine. »

J’ai essayé de faire quelque chose de beau avec de la peine, de prendre mes angoisses “en main” et de les sublimer. Par la suite, ces Pots-pourris sont aussi devenus des supports de médiation avec les gens.

R : On observe un engouement de plus en plus présent pour l’art de la céramique, comment cela s’explique-t-il ? 

P : Je ne pourrais pas vraiment l’expliquer… J’imagine que l’aspect naturel, primitif et eco-friendly de la céramique peut motiver cette popularité grandissante, mais en tout cas, le regain d'intérêt est assez flagrant. Quand j’ai passé le concours à La Cambre, nous étions 5 candidats alors qu’aujourd’hui ils sont une vingtaine. Dans mon entourage, beaucoup d’amis ouvrent leurs ateliers au public et je reçois moi même régulièrement des demandes pour donner des cours. Il y a une envie de retour au manuel. Cette pratique est aussi devenue très visible avec les réseaux sociaux, notamment Instagram car c’est très facile à communiquer, très photogénique. Elle est aussi en train de se faire une place indéniable dans l’art contemporain. 

R : La pratique de la céramique est-elle responsable ? 

P : Certes, c’est une pratique devenue très attractive, mais il ne faut pas oublier qu’elle est polluante. Ce n’est pas pour rien qu’on retrouve régulièrement des poteries sur les sites archéologiques. 

« La céramique n’est pas biodégradable, donc il faut être conscient de ce que l’on produit. » 

Les matières premières, bien qu’elles soient extraites de la terre, ne sont pas pour autant inoffensives, autant pour le céramiste que pour le consommateur ou pour l’environnement. La pratique en elle-même est mauvaise due aux poussières engendrées et peut causer des maladies respiratoires par exemple. On est amené à utiliser quotidiennement des matières dangereuses, du plomb par exemple, ou encore des oxydes métalliques colorants qui sont des poisons pour l’organisme.

Il est à mon sens absolument primordial d’être renseigné, averti, d’entendre mais surtout de comprendre cette part de risque que comporte nécessairement la céramique, afin d’adopter une attitude responsable. Quand j’explique ce que je fais, et comment je le fais, c’est une manière de démystifier la vision romantique de cette pratique. Je pense que c’est important de réfléchir à ce qu’on fabrique et à ce qu’on met au monde.

R : Comment fabrique-t-on une pièce en céramique ? 

P : Quand on parle de céramique, on parle nécessairement d’argile cuite. L’argile provient d’un gigantesque brassage géologique. Pour simplifier, elle est le résultat final de la décomposition des roches. C’est pour ça qu’on trouve des argiles locales, qui diffèrent en fonction des régions où elle est puisée. Le sud de la France par exemple est réputé pour sa faïence, alors que dans les régions du Nord comme en Belgique, on trouve essentiellement du grès. La porcelaine quant à elle est une pâte céramique originaire de Chine, elle est composé d'un un mélange de matières premières élaboré à partir de kaolin, de silice et de feldspath.

Il s’agit donc d’abord de faire le choix de son argile, et ensuite, on choisit la technique pour la transformer. Je travaille essentiellement par modelage au colombin, qui me permet de façonner des formes libres et organiques en trois dimensions.

Je travaille avec peu d’outils, surtout avec mes doigts, et je n’ai pas besoin de grand chose finalement. Une fois modelées, je laisse mes pièces sécher plusieurs semaines, et arrive ensuite l’étape de la cuisson. Je cuis une première fois mes pièces à basse température (900 degrés), puis je les émaille. L’émail est une sorte de couche de verre qui permet généralement d’imperméabiliser la céramique naturellement poreuse. Il existe des émaux industriels mais personnellement, je fabrique mes propres recettes composées de diverses matières premières et d’oxydes colorants. Pour mes Pots-pourris, j’ai élaboré un émail dit incuit, qui ne rentre pas en fusion et qui me permet grâce à l’application au pistolet et à des superpositions colorées d’obtenir un “effet velours” intrigant, des surfaces granuleuses vibrantes et moirées. Après l’étape de l’émaillage, je cuis enfin mes pièces à haute température, autour de 1250°qui permet la transformation de la terre et de l’émail.

R : Et en ce qui concerne le verre ? 

P : Pour ce qui est de la technique, en résumé il faut du verre en fusion au bout d’une canne à souffler, un peu de souffle, beaucoup de chaleur et de l’endurance! L’idée, c’est de souffler une bulle de verre parfaitement axée qu’on vient ensuite déformer, étirer, ouvrir, etc, le tout en gardant la canne perpétuellement en rotation, en faisant des allers-retours dans le four de réchauffe afin de maintenir la température du verre et éviter un choc thermique fatal. Dans l’idée, ça se rapproche assez de la poterie, on sculpte une forme en rotation, mais à l’horizontal... et avec des conditions extrêmes en plus ! Je n’ai pas eu de formation spécifique, c’est une pratique que j’ai pu approcher lors de mon voyage à Jérusalem et ma technique est loin d’être parfaite. Néanmoins, j’aime beaucoup la série que j’ai produite là-bas parce qu’il y a justement tous les hasards de débutante qui en font des objets touchants.


R : Où est-ce qu’on peut retrouver tes pièces ? 

P : Il y a des galeries et des boutiques en ligne qui vendent quelques-unes de mes pièces, notamment Amano Studio à Biarritz, BeCraft à Mons ou le site Apoc Store. En attendant d’ouvrir ma propre boutique en ligne, je prends aussi les commissions professionnelles et commandes personnelles, et on peut suivre toute mon actualité sur ma page Instagram.

R : Quels sont tes projets pour la suite ? 

P : J’ai eu la chance que mon projet de diplôme soit reconnu malgré la crise que l’on traverse. J’ai reçu plusieurs prix, dont ceux de la Fondation Boghossian à Bruxelles, ainsi que le prix des amis de La Cambre, le prix de la Loterie Nationale Belge et le Prix Eleven Steens, grâce à la galerie BeCraft. Ces récompenses m’ont permises de m’acheter un four et de monter mon atelier donc je vais pouvoir poursuivre mon activité sereinement. Je me suis bien développée à Bruxelles, maintenant il faut que je développe mon réseau sur Marseille, en espérant être représentée rapidement dans des boutiques et dans des galeries locales.

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