Wanju porte Le Manteau · Édition N°1 · RÉUNI
Wanju Jo : l’art de la maille
Wanju Jo
1989 – Naissance à Bucheon à côté de Séoul
2008–12 BA – Chungang (Seoul/Corée duSud)
2012–15 – Studio Berçot
« J’ai commencé à tricoter quand je suis arrivée en France », nous confie Wanju Jo, styliste maille pour Réuni et d’autres griffes haut de gamme comme Uniforme. La jeune femme a grandi en Corée du Sud et est parisienne depuis bientôt dix ans. Durant cette courte décennie, elle passe d’étudiante au studio Berçot, à assistante stagiaire pour un professeur de l’école, puis enseignante dans le même établissement. Lorsqu’elle ne fait pas rouler ses doigts sur des aiguilles et une machine à tricoter, c’est donc devant des élèves qu’elle se tient, dans l’école de mode où Alice et Adrien ont étudié et l’ont rencontrée, quelques années avant la création de Réuni.
Au cours de notre discussion, on apprend que son entrée dans le monde du tricot est presque un hasard ; arrivée chez Etudes Studio comme assistante styliste, son talent pour le travail de la maille saute rapidement aux yeux de la marque qui lui demande alors de prendre en charge sa ligne knitwear. Un début de carrière sur les chapeaux de roue.
En dehors des pulls qu’elle conçoit pour les autres, ceux qu’elle porte sont mousseux, denses, monochromes, loose, chacun reflète son approche de la matière : sorte d’objet du quotidien que l’humilité exalte. Pour dresser son portrait, c’est donc tout naturellement de son travail et de son regard sur les vêtements que nous l’avons fait parler.
La Machine à tricoter manuelle
Wanju dans Le Gros Pull d'Hiver · Édition N°2 · avec son chat Tocky (Lapin en Coréen)
RÉUNI : Au quotidien, la Corée influence-t-elle votre style et votre travail ?
WANJU JO : La Corée ne continue pas tellement de m'inspirer. Cela fait presque dix ans que je suis en France, ce que je crée est donc vraiment une combinaison. Là-bas, l’hiver est froid et très ensoleillé, la palette varie entre un bleu ciel et un blanc très pur. C’est minimal, brut et épuré. Dans mon travail, tout ce qui est minimal et lumineux vient de Corée. Mais j’aime aussi les couleurs plus ternes et ça, je sens que cela vient de la France. C’est vraiment moitié-moitié.
R : Pour décrire votre style, vous employez les mots « clean et warm ». Comment mariez-vous ces deux adjectifs dans votre travail ?
WJ : J’adore les différentes nuances d’écru. Il y a plein de différents tons dans le blanc. Un gris-coton ou un warm-grey par exemple. Beaucoup de gens pensent que le blanc est juste « clean » mais il peut aussi être dans des tons plus chauds, c’est quelque chose que j’aime beaucoup.
Wanju dans le Cardigan RÉUNI · Édition N°1
Wanju en train de tricoter un échantillon de matière pour un projet
R : La couleur est-elle toujours le point de départ de votre travail ?
WJ : Quand je crée une pièce, je démarre par des points de maille que je trouve bien et je pense ensuite en termes de couleurs. Je suis justement exactement dans cette situation en ce moment car c’est le début des collections, je suis donc en train de rassembler des images, des couleurs, des textures. Je prépare toujours une grande pièce de papier et commence à réunir les échantillons de couleurs et beaucoup d’images.
R: D’où tirez-vous votre inspiration ? Comment la travaillez-vous ?
WJ : Généralement, je pars du thème de la collection que le directeur créatif me donne et j’essaie de collecter tout ce qui s’y rapporte. Cela peut aussi venir de mes amis. S’ils portent des sweaters que je trouve sympas, je les prends en photo et leur demandent d’où ça vient, si c’est vintage, etc.. Les informations viennent d’absolument partout.
R: L’une des marques avec laquelle vous travaillez a d’ailleurs augmenté ses résultats sur le marché asiatique. De manière générale, ce marché vous inspire-t-il ?
WJ : Je garde un oeil sur le marché asiatique mais je n’essaie pas d’analyser les tendances. J’essaie simplement de comprendre comment les gens vivent. C’est un point important. Dans les pays asiatiques et européens, les gens ont des météos très différentes, des vies et des situations différentes. En Corée les quatres saisons sont très distinctes, les gens veulent vraiment des pièces en maille pour les demi-saisons. J’ai alors commencé à faire davantage de sweaters pour ces périodes-là. Il y a beaucoup de designers qui peuvent concevoir de très belles choses, d’un point de vue esthétique, mais il n’y a pas beaucoup de design qui pensent en termes d’humains. Lorsque je crée, je pense d’abord aux personnes qui vont porter le pull. D’ailleurs, quand je travaille chez Études, il m’arrive souvent de descendre dans la boutique qui se trouve au niveau inférieur pour observer les clients, voir s’ils achètent mes jumpers et échanger avec eux.
« Recevoir ces tonnes de commandes chez RÉUNI, c’était comme une confirmation. »
Wanju porte Le Manteau RÉUNI · Édition N°1
R : Le retour des clients est donc un pilier central de votre travail.
WJ : Oui. D’ailleurs, pour Réuni, je me rappelle le moment où l’on a reçu toutes les commandes pour le pull. C’était vraiment beaucoup. J’étais surprise et cela m’a rendue plus confiante dans mon approche. J’ai pensé : « ok, je dois continuer dans cette direction ». Je vois que les gens aiment ça et qu’ils pensent vraiment en termes de durabilité. À présent, quand je convaincs aussi d’autres marques, on communique alors avec leurs clients pour savoir ce qu’ils veulent. Cela résume d’ailleurs ma façon d’approcher le design. C’est ce que je suis à présent en train de faire : je prends le sweater que j’ai conçu l’été dernier et demande le retour des clients. Je donne aussi un prototype à des amis ou collègues et leur demande comment c’était de porter la pièce durant six mois, leur sensation, etc. Demander les retours des clients a toujours été ma façon de faire mais c’est aussi un mot clé chez Réuni. Ils questionnent les clients dès le départ, et même une fois que la pièce est faite, on continue toujours de demander des retours.
Vraiment, recevoir ces tonnes de commandes chez Réuni, c’était comme une confirmation. Bien sûr, il peut arriver que des clients n’aiment pas certains designs mais concernant la durabilité, cela m’a vraiment rendue plus sûre.
R : Vous observez beaucoup les gens qui vous entourent. Quel regard portez-vous sur la manière de s’habiller en France et en Corée ou plus globalement en Asie ?
WJ : Il y a honnêtement une différence. Les français, s’ils aiment un pull, peuvent le garder toute une vie [rire]. Il est alors très important que le sweater soit de bonne qualité. Tandis qu’en Asie, les gens aiment bien changer. Bien sûr il y a des personnes qui peuvent garder les vêtements longtemps, mais en général ils achètent des choses nouvelles pour chaque saison. En France, il y a moins de tendances et de saisons distinctes. D’ailleurs les français n’aiment pas tellement les tendances. Par exemple, si le cardigan rayé est le hit de la saison, en Asie, les gens voudront l’acheter mais les français s’en fichent. Ici, chaque individu à ses standards et les gardent pour longtemps. Je vois d’ailleurs mes amis qui me parlent de pulls qu’ils ont depuis qu’ils sont jeunes et dont ils ne peuvent plus se séparer [rire].
R : Pour concevoir un pull, vous m’aviez expliqué dans une discussion précédente qu’« être styliste maille, c’est d’abord choisir les fils et leur épaisseur, tricoter l’échantillon qui deviendra ensuite le tissu, rencontrer des soucis, discuter avec les usines pour savoir ce qu’il est possible de faire et attendre parfois longtemps leur retour ». Ce temps long et ce soin apporté au produit me ramène à la notion de luxe. Pour vous, qu'est-ce que le luxe dans la mode ?
WJ : Je me suis justement toujours questionnée sur le luxe et sur sa définition car j’ai aussi beaucoup d’amis qui travaillent dans ce secteur. Je pense que le luxe signifie un vêtement bien fait. D’ailleurs, j’ai lu cette question dans un interview donné par Rémi [Rémi Bats, co-fondateur de la marque Uniforme] et il répond la même chose : « une pièce bien faite ». Ça doit être beau mais aussi solide. Imaginez, vous achetez un bijou très cher, vous le portez deux fois et il se casse, il n’est alors plus rien. Il s’agit donc de passer beaucoup de temps sur une pièce pour en faire quelque chose de qualité. C’est quelque chose que la fast fashion ne peut pas faire parce qu’elle répond à des timing très courts pour faire les vêtements. Imaginez une pièce sur laquelle vous passez un an et une autre un mois. Il y aura une énorme différence je pense.
« Je pense d’abord aux gens qui vont porter le pull »
R : La notion de rareté ne rentre-elle donc plus en compte ?
WJ :C’est une bonne question. Le marché évolue, même les marques de luxe vendent des sweatshirts et des pantalons de jogging. Peut-être que pour la génération d’avant il s’agissait d’avoir quelque chose de rare ou des éditions limitées, mais la situation évolue. Je ne suis pas certaine que le luxe signifie « rare et unique ».
Chez Dior ou Gucci, ils vendent des tonnes de joggings et des sweat-shirt de bonne qualité et cela ne veut pas dire qu’il ne s’agit pas de luxe. C’est du luxe. Les générations changent. Les marques se focalisent aujourd'hui surtout sur la manière dont elles communiquent avec leurs clients. Quoiqu’il en soit, les termes de luxe et de rareté ne sont plus aussi connectés aujourd’hui. L'exclusivité existe toujours mais la notion de luxe est plus large. Désormais de plus en plus de gens pensent aussi au luxe en termes de qualité et de durabilité.
R : Et le pull parfait, à quoi ressemble-t-il ?
WJ : Je me focalise beaucoup sur l’éco-responsabilité. Si je choisis du coton il faut qu’il soit biologique, si c’est de laine elle doit être certifiée RWS [Responsible Wool Standard]. Donc le vêtement doit être visuellement beau mais aussi avec une attention portée à la matière.
R : Pour terminer, y a -t'il un point de maille que vous préférez ?
WJ : J’aime tous ceux faits à la main. Ils ont quelque chose de spécial. À chaque fois que vous tricotez, c’est différent, même si vous faites le même point. C’est lié à la personne qui tricote. J’aime cet aspect unique.
Portrait réalisé par Julia Garel pour RÉUNI
Crédit photo : Benoît Auguste