The Wear About de Laszlo Badet

Nous avons retrouvé Laszlo un après-midi chez elle, à Paris. Son appartement, baigné de lumière, surplombe la ville comme un observatoire paisible sur le mouvement du monde. À travers les grandes fenêtres, le ciel changeait de ton à mesure que la conversation s’installait, entre effluves sucrées et gestes précis : Laszlo préparait des bonbons de pâte de coing, presque machinalement, avec la délicatesse de celles qui savent transformer les choses simples en poésie. Le temps semblait ralentir dans cet espace à son image — lumineux, ordonné, habité par des objets choisis pour leur âme plus que pour leur forme.
Assise à sa table, un morceau de pâte de coing à la main, Laszlo, cuisinière, couturière, mannequin et artiste, nous parle de toutes ses passions. Toutes s’entremêlent pour servir son besoin de créer de ses mains. Chez elle, la création n’est pas une posture : c’est une manière d’habiter le monde, de le rendre plus doux, plus tangible, plus humain.
Elle nous raconte…

RÉUNI. Si tu devais te présenter sans énumérer tes métiers — couturière, mannequin, cheffe — comment parlerais-tu de toi et du chemin qui t’a menée ici ?
LASZLO. J’ai grandi dans un univers créatif, où chaque moment de vie était une occasion d’observer, de penser, de créer à partir de rien. J’ai parlé tard car mon premier langage était celui que je créais par mes mains. Ainsi, toujours mes mains ont créé de petites choses. Jamais je ne pourrai me passer de créer de la poésie à partir des éléments simples de la vie. Je n’ai pas un métier mais tous les métiers de main. Hier comme aujourd’hui, j’en exerce quelques-uns, mais plus tard j’espère en réaliser d’autres.
R. Nous sommes dans ton univers. Qu’est-ce qui te retient dans cette ville, ce qui nourrit ton imaginaire ou ton énergie au quotidien ?
L. La richesse de la diversité, de la folie bruyante et inarrêtable de cette ville qu’est Paris. Ici, on accepte les différences, on s’enrichit des autres, on s’entoure de beauté, de diversité. Des difficultés et des facilités encore plus flagrantes. Des mises à l’épreuve contre soi, contre ses rêves et contre tout le reste pour toujours aller de l’avant en se surpassant. De cette vie, de cette ville folle qui, ensemble, font des merveilles en moi ! J’aime cette ville d’amour, elle rend mon passé mélancolique mais je dirais appréciable, car j’y retourne souvent en y attrapant ce que j’y préfère. Paris est une ville qu’on aime habiter, qu’on adore quitter furtivement sans prévenir personne, puis retrouver d’un seul coup de main !
R. Ton environnement — que ce soit ton atelier, une cuisine, un souvenir d’enfance ou un paysage — semble guider ton esthétique. Comment ces lieux intérieurs ou extérieurs façonnent-ils ta manière de créer ?
L. Ils sont la source pure de mes uniques connaissances. Il y a toujours eu en moi cette envie profonde d’aller vers l’essentiel pour créer. C’est une évidence qui persiste : me concentrer sur ce qui m’a construite, et rien d’autre. Ce que j’ai dû défendre et parfois rendre encore plus beau. Il y a eu mon enfance, puis mon adolescence que j’ai sauvée d’une période moins facile. Il y a cette femme que j’ai dû bâtir dans un univers parfois moins chaleureux. Il y a eu des déceptions, des peines de cœur, des amitiés dont je ne me suis jamais remise, mais avant tout la conviction d’aller toujours de l’avant, toujours marcher, marcher. Comme en montagne, comme à l’escalade, tu peux regarder derrière, mais tu devras toujours avancer, même en sachant que ce sera dur.

R. Ce qui frappe dans ton parcours, c’est la multiplicité : couture, mannequinat, cuisine. Ce sont trois univers où le geste est central. Quel geste appris dans l’un de ces mondes continue de t’accompagner dans les autres ?
L. Je crois que je ne saurais répondre par un seul geste, mais plutôt sur une manière de développer la délicatesse des doigts, des mains soutenues par des bras musclés et un grand dos élégant. C’est cela qui importe dans tout métier de main. Mes mains sont plutôt bien entraînées, elles dansent, tapent, tournent, s’articulent parfois même en miroir. J’adore mes mains. Elles sont le prolongement du corps, la silhouette de celle qui s’en sert. Et aujourd’hui encore, je ne cesse de les orner d’un vernis, d’un bijou, d’un détail.
R. La cuisine et la mode partagent l’instantanéité : on goûte, on voit, et puis ça disparaît. Comment vis-tu cette éphémérité ?
L. Je l’aime absolument, car en moi cela ne résonne pas tout à fait ainsi. La cuisine est un écho aux saisons, aux fêtes de famille, aux joies, aux odeurs, aux couleurs. La nature en est le plus beau dictionnaire dans mon laboratoire de cuisine. La mode n’a jamais été éphémère pour moi. Je n’ai jamais aimé la mode rapide, furtive, trop neuve ou imposée. J’aime la mode qui a une patte, une ampleur par son temps. On dit que le luxe dans la mode, c’est le temps. Rien n’est éphémère pour moi. Tout a un sens, un fil continu qui, d’un printemps à l’autre, d’une collection à l’autre, fait partie de la même boucle, de la même chaîne.

R. Est-ce qu’il y a un plat qui, pour toi, équivaut à un vêtement “parfaitement taillé” : celui qui tombe juste, qui donne confiance, qui raconte une allure ?
L. Une soupe où, à la dégustation, il faut deviner tous les ingrédients, non seulement au goût, mais presque à la couleur. Comme un vêtement fait de toile, de patron, de coutures, de petites choses et d’accessoires dont on ne soupçonne pas toute l’articulation.
R. Quel est le détail invisible dans ta cuisine — comme une couture intérieure — que peu de gens remarquent, mais qui change tout ?
L. – Je n’utilise jamais de sel fin, que de la fleur de sel.
– Graines de carvi, de fenouil, un peu partout, ça me rappelle mes origines.
– Le vinaigre balsamique dans la sauce tomate.

R. Est-ce que ton rapport aux vêtements a évolué avec le temps ?
L. Non, je ne dirais pas cela. Plus jeune, je vivais avec beaucoup moins de vêtements autour de moi. Aujourd’hui je reçois, je collabore, je travaille pour beaucoup de marques et mon dressing grandit de jour en jour. Parfois j’ai du mal et un peu peur, car j’aimerais vraiment créer de vraies histoires avec ces pièces et pas juste les porter à la légère. Mais je me dis qu’elles auront leur temps, je les garde précieusement. J’aime être entourée de textiles qui rappellent des idées, des dessins, des coupes, des corps.

R. Un mot pour décrire l’esprit RÉUNI, sans jamais parler de vêtement ?
L. Rassembler les essentiels pour créer des pièces uniques, du quotidien, qui s’assemblent comme un puzzle dans l’armoire, été comme hiver. Elles sont portées avec bonheur. Des pièces dont on soulève l’ourlet pour comprendre la couture, lisibles car faites avec un vrai savoir-faire. Des coloris justes, des matières honnêtes, des coupes pour toutes. Des créateurs qui ont l’envie de partager des valeurs, une famille, des histoires, de s’entourer de gens qui portent et vivent leurs vêtements pour rayonner et apprendre de chacun. Réuni, c’est un échange, une unité autour des essentiels, une logique, une responsabilité. C’est aussi un écho au passé, aux produits purs dont on devrait aujourd’hui s’entourer dans tous les domaines.

R. Et si tu devais composer une silhouette RÉUNI pour quelqu’un que tu aimes : que choisirais-tu ?
L. Sans hésiter, pour ma sœur Margot, la plus belle.
Le cache-cœur (si joli mot pour un vêtement) marine et le wide leg en indigo ou mid blue.
















