des objets intemporels pour un rapport sensible au matériel
Aujourd’hui, on s’invite chez Sarah Espeute à Marseille. Elle s’est formée dans les arts appliqués et n’a depuis cessé de créer. Du graphisme à l’objet en passant par le textile brodé, rien n’échappe à cette âme créative. Ces productions oscillent entre l’utile et le beau et sont un moyen de transmettre sa sensibilité artistique dans l’espace. En effet, ses « œuvres sensibles », comme elle les appelle, passent par toutes sortes de supports. Elle crée notamment des nappes trompe-l’œil où se confronte la surface de son illustration brodée au volume de l’objet.
La tendance ne fait pas partie de son vocabulaire, au contraire, elle met en avant le caractère intemporel des objets, l’attachement sentimental et l’amour du savoir-faire. Dans sa maison comme dans son assiette, elle véhicule un ensemble de valeurs cohérentes autour de son art de vivre.
C’est donc tout naturellement qu’on a souhaité s’intéresser de plus près à son art de vivre et ses créations.
RÉUNI : Peux-tu te présenter ?
SARAH ESPEUTE : Je suis originaire du sud. J’ai fait des études d’arts appliqués en graphisme à l’ENSAAMA à Paris. Par la suite, j’ai commencé par mettre en place une imprimerie et j’ai fini par me diriger vers l’illustration, l’objet et la décoration d’intérieur. Je suis restée dix ans sur Paris et il y a deux ans je me suis installée à Marseille. C’est à ce moment-là que mes projets créatifs se sont confirmés. Aujourd’hui je réalise des nappes brodées et je continue à peindre. D’un point de vue général, c’est l’objet de décoration qui m’intéresse.
R : Cette influence artistique vient-elle de ta famille ?
SE : Pas du tout ! Mes parents ont fait des études scientifiques, mon père est professeur et botaniste et ma mère est écrivain public. Mon arrière grand-père a fait de la peinture, mais c’est le seul de la famille à s’être tourné vers ce domaine. C’est une aspiration personnelle pour ma part.
R : Ce domaine était plutôt une évidence pour toi, comment t’es-tu formée ?
S : Après le collège, je disais déjà que je voulais m’orienter vers un parcours artistique. J’aimais bien l’architecture d’intérieur. J'ai donc fait un bac spécialisé en arts appliqués dans un lycée à Nîmes qui permettait d’intégrer les grandes écoles d’art parisiennes. Le problème de ce cursus, c’est qu’il faut rapidement choisir un domaine artistique en particulier. À l’époque, j’étais intéressée par l’illustration donc j’ai choisi de poursuivre en graphisme sans savoir ce que ça allait être.
« La finalité du métier de graphiste ne me plaisait pas tant que ça, donc j’ai fait un stage à Londres où j’ai découvert une technique d’impression qui s’appelle la risographie. »
Ce sont plusieurs imprimantes dédiées à la bureautique mais qui ont été détournées à des fins artistiques, elles ont un rendu similaire à la sérigraphie. Quand je suis revenue à Paris, j’ai créé ma propre imprimerie en RISO ("RISO" c'est la marque de l'imprimante). À l’origine, je voulais m’auto-éditer et puis je me suis retrouvée à faire beaucoup de commandes extérieures. J’ai arrêté pour travailler avec Léa Bigot, une amie. On a créé un projet qui s’appelle « Klima Intérieurs ». On a réalisé des livres d’illustration d’intérieurs où on explorait notre vision de la décoration. On en a édité deux, imprimés en RISO. Très vite j’ai voulu passer à de l’objet 3D et à force d’explorer, c’est devenu un projet personnel.
R : Comment en es-tu arrivée à la broderie ?
S : Je me suis demandée ce que je savais faire avec mes mains. De par mon parcours en graphisme, j’étais plutôt liée à une activité numérique et moins manuelle. La broderie est arrivée de façon très naturelle. J’en faisais déjà en étant petite, donc j’avais déjà une affinité avec le tissu. C’est aussi une question de moyens, je me suis interrogée sur la création d’un objet qui ne nécessite pas autant d’argent. J’ai commencé par des coussins brodés à partir d’illustrations, puis en arrivant à Marseille, j’ai fait des rideaux. J’ai acheté de la toile de jute que j’ai ornée avec mes dessins brodés (fenêtres, rosiers grimpants…). J’aimais bien cette idée de créer des trompe-l’œil et d’illustrer de manière schématique par la broderie. Mon travail a attiré l’attention de la galerie A MANO STUDIO à Biarritz qui m’a demandé une nappe pour une exposition autour de la table. C’est là que j’ai commencé à être reconnue pour cette production de trompe-l’œil brodés. En parallèle, je peins, car j’avais aussi envie d’avoir des tableaux chez moi.
R : Comment définirais-tu ton travail ?
S : C’est une recherche esthétique globale de ma vision de la décoration. Il n’y a pas de limite de supports, ni de médiums. Je cherche un équilibre entre ces affinités que j’ai et de tout ce que j’aimerais avoir chez moi. Petit à petit, j’arrive à déterminer une vision singulière de l’intérieur en général.
R : Nous sommes actuellement chez toi, d’une certaine manière c’est ta vision de l’intérieur que tu exposes ?
S : Oui c’est une ébauche, ça évolue en permanence. Au début c’était par phase, je pouvais acheter des objets et faire un intérieur assez rapidement et puis je me suis rendue compte que je n’étais pas forcément attachée à ces objets. C’était plutôt un acte compulsif.
« Je me suis dit qu’il fallait prendre plus de temps pour acheter un objet qui a de l’importance et de la valeur afin qu’il perdure dans le temps. Autrement, il y a cette matérialité où l’on peut se séparer trop facilement des choses alors que moi, j’ai envie d’être attachée aux choses, j’ai envie qu’elles prennent de la valeur et leur place dans un intérieur. »
Ça prend du temps de faire ces choix. J’ai aussi envie de faire du sur-mesure. J’ai emménagé il y a tout juste un an et je suis encore en train de réfléchir.
R : Comment choisis-tu un objet ?
S : Il faut qu’il ait une particularité, c’est ce qui me séduit. Je me tourne aussi vers des objets où la forme peut être intemporelle. Ça ne doit pas être lié à une tendance, au contraire, il doit être proche d’une forme de rareté et de simplicité. J’ai envie de me diriger vers des choses naturelles. J’écume beaucoup Le Bon Coin pour trouver de belles pépites. Je fonctionne au coup de cœur.
« Il faut qu’on s’affranchisse des codes actuels pour qu’un objet passe les âges
et qu’on se l’approprie en tant que tel. »
R : Comment décrirais-tu ton univers au sens large ?
S : Je tends vers quelque chose qui m’est propre, je voudrais que ça me reflète donc c’est assez personnel. J’essaie de m’affranchir de choses que l’on a vues et revues. Je cherche à créer des objets qu’on aurait envie de posséder sur plusieurs années. Il faut qu’on s’affranchisse des codes actuels pour qu’un objet passe les âges et qu’on se l’approprie en tant que tel. Ça passe par une sensibilité propre, c’est pour ça que je les appelle « Œuvres Sensibles ». Le fait qu’elles dégagent une âme peut provoquer l’envie de les garder, de vivre avec et de créer un lien.
R : Pourquoi as-tu choisi de t’installer à Marseille ?
S : Pour le temps. Le soleil change tout le cours de ta journée. Je suis de meilleure humeur. En ayant habité à Paris, j’ai été habitué à la grisaille. Au-delà du temps, c’est aussi pour le confort de vie, l’espace de travail, l’extérieur… tout ça procure un épanouissement personnel. Je vois l’évolution sur mon travail : avant j’étais cloisonnée, j’avais l’impression de stagner. En déménageant, mon projet a grandi avec mon cadre de vie.
R : Comment as-tu appréhendé cette ville ?
S : Marseille, il faut la prendre comme elle est et ne pas l’idéaliser. Il y a un rythme à prendre. Je ressens la différence aussi du point de vue vestimentaire. Ici, j’ose beaucoup plus la couleur et l’éclectisme. C’est un lâcher-prise global : comme c’est à la fois une grande ville et une petite ville, il y a moins de pression sur ce que l’on doit faire ou porter.
R : Tu as un point de vue sur l’objet très précis, qu’en est-il du vêtement ? Quelle relation entretiens-tu avec ?
S : Ça prend du temps de définir son style vestimentaire. J’achète très peu de vêtements neufs et pratiquement que de la seconde main. Chez mes parents il y a une boutique solidaire, c’est un peu une caverne d’Ali Baba.
« C’est ce que je recherche au-delà d’un prix abordable : le fait d’avoir des matières de meilleures qualités, des belles coupes, de s’affranchir d’une norme vestimentaire et des tendances. »
Je n’ai pas encore trouvé ma marque fétiche, pourtant j’ai envie de donner ma confiance à une marque. Je crois que c’est aussi par question de manque de temps. J’aimerais trouver une marque qui propose un vestiaire, tout en gardant cette passion annexe de chiner des vêtements comme des objets. Mais je tends vers de nouvelles marques sustainable avec des matières naturelles comme le font mes amies Azur.
R : Tu réalises des nappes brodées, ce qui n’est pas anodin vis-à-vis de l’art de vivre.
Peux-tu nous parler de ta relation à l’alimentation ?
S : Oui, j’aime la nourriture dans sa simplicité. Je viens du sud, donc la cuisine est une forme d’essentiel. J’adore les légumes, et les recettes provençales propres à ma famille. J’aime bien la simplicité des plats, les choses de saison, locales. Je n’ai pas envie de passer trop de temps en cuisine. J’ai toujours ma base d’assaisonnements : de l'ail, de l’huile d’olive, du sel, du poivre, du basilic, des herbes, du fromage… des aliments du quotidien.
R : Tu es un peu comme une entrepreneuse créative, comment définis-tu ton statut ?
S : Oui, j’appelle ça du design artistique parce que j’aime imaginer les objets. La confection est un moyen, j’ai pu m’auto-produire et mettre en place une vision par mes mains.
« Ce qui m’intéresse, c’est de savoir faire évoluer mes idées vers quelque chose de plus commercialisé. Je n’aspire pas à atteindre une échelle trop importante, je garde une production en petites séries avec des choses faites à la main par un savoir-faire sinon ça perd de son âme. »
J’essaie de trouver des solutions et un équilibre entre l’objet artistique et l’objet en série. Ça passe par un petit cercle d’artisans, la collaboration, je continue à faire des pièces uniques et des petites séries que je ferai évoluer en collection.
R : On a l’impression qu’il y a une envie de retour à l’artisanat ces derniers temps…
S : Oui on a perdu un peu l’essence de tout ce savoir-faire mais on y revient.
« Je pense que l’on s’oriente vers des objets manufacturés à plus petite échelle réalisés à la main. C’est ce qui fait qu’on prend en compte la valeur des choses. »
Les gens tendent vers un objet qui a de la valeur à leurs yeux. Il y a des solutions qui s’ouvrent pour qu’on ait un mobilier non pas standardisé mais plutôt personnalisé.
R : Quels sont tes projets pour la suite ?
S : J’essaie de mettre en place une gamme de produits autour de la table, notamment par la broderie. Je vais faire sous-traiter certains de mes produits pour réaliser une production (toujours à la main). J’aimerais évoluer vers l’objet de décoration, du mobilier et d’autres gammes d’objets brodés. Il y a encore tellement de choses à explorer en termes de supports.
Pour en savoir plus sur Sarah Espeute :
Sarah Espeute sur Instagram
Ses bonnes adresses à Marseille :
RESTO :
- Le Souk de Nour d'Egypte : 2A Rue de Rome - 13001 Marseille
- Limmat : 41 Rue Estelle - 13006 Marseille
- Oumalala: 18 rue Saint Pierre - 13006 Marseille
- La Bonne Mère (pizzeria) : 16 Rue Fort du Sanctuaire - 13006 Marseille
ÉPICERIE / CAFÉ / THÉ :
- Brûlerie Möka : 36 Bd Eugène Pierre, 13005 Marseille
- Epicerie l'Idéal : 11 rue d'Aubagne, 13001 Marseille
- Herboristerie du Père Blaize, 13001 Marseille
CONCEPT STORE :
- Espace 0 - AZUR & Atelier Bartavelle : 19 rue du Chevalier Roze - 13001 Marseille
- La Maison Marseillaise : 38 rue Francis Davso, 13001 Marseille
- Maison Empereur : 4 Rue des Récolettes, 13001 Marseille
- Luciole : 15 rue Venture, 13001 marseille
- Emmaüs Pointe Rouge : 110 Traverse Paragon, 13008 Marseille