Alice préparant un bouquet
Un grand bol d’air avec Alice Roca
Vivre à la campagne. Remplir ses journées de balades au grand air et ses repas de légumes du jardin. L’idée peut bien faire sourire ceux qui la trouveront idéaliste, l’appel de la nature se fait de plus en plus insistant chez Réuni. L’envie de quitter Paris pour adopter un tempo autrement cadencé, réglé sur l’essentiel, mené par les valeurs qui nous animent. Voilà sans doute ce qui nous a conduit vers Alice Roca.
Préparation de la tarte au potimarron
Alice dans le jardin de Jean-Jacques
Alice est une styliste parisienne installée depuis quatre ans dans un petit hameau normand. On la trouve sur Instagram sous le nom de @aliceinfood, une mosaïque gourmande de ses bons petits plats. Car sa créativité ne s’arrête pas à la conception de vêtements, la cuisine est aussi source d'inventivité et, désormais, sa seconde spécialité. Pain au levain, carpaccio de légumes aux fleurs, brioche aux fruits confits, ses préparations ont le goût des repas faits maison, une saveur de vérité simple qui a modelé son art de vivre. Tout ça nous a donné envie de parler avec elle de son mode de vie, de création, de sa capacité à se réinventer et, finalement, de ce qu’être une styliste installée à la campagne signifie.
Alice dans sa cuisine avec la Chemise en Popeline et le Jean RÉUNI
Alice studieuse dans la Chemise en Popeline
RÉUNI : Posons le décor. À quoi ressemblent les alentours de votre maison en Normandie ?
Alice Roca : La maison est située un peu en hauteur et donne sur un grand jardin. On est aux frontières de plusieurs départements, tout près de l’Orne, à vingt kilomètres du Perche et avec, de l'autre côté, les grands champs agricoles de la Beauce. Du coup, chez nous, c’est assez mélangé. On a des pâturages, des champs, mais aussi des vallons et des petits bois. Notre balade habituelle — celle dont mon frère dit toujours « elle est con cette ballade mais je l’aime bien » — nous amène vers un beau vallon avec des vaches, des chevaux, une rivière et un bois. C’est plutôt joli. On est assez content avec ça.
Alice dans le pré de Jean-Jacques
R : Sur votre site, vous parlez de « faire dialoguer mode et nourriture ». Concrètement, comment cela fonctionne-t-il ?
A : C’est assez organique car je viens de la mode et cela fait vraiment partie de mon parcours. Depuis que je suis petite, être styliste est une volonté très forte mais, ce dont je me suis aperçue, c’est que quand on est créatif, on peut trouver plein de médiums dans lesquels s’exprimer ; j’ai finalement réalisé que pour moi, depuis quelques années, la cuisine en était devenue un. Les ponts que je fais entre mode et nourriture sont dans le rapport aux matières, aux textures, aux couleurs, dans la créativité finalement. Je n’ai aucune prétention, je ne suis pas une cheffe, je suis une cuisinière, mais avec beaucoup de curiosité, j’aime tester des choses, être aventureuse. Quand je compose un carpaccio de légumes avec des fleurs, pour moi, cela se rapproche de la création d’un imprimé ou d’un tableau.
Alice mettant la table avec le Cardigan et la Chemise en Popeline RÉUNI
R : Cela est donc toujours très visuel.
A : Oui, ça reste très visuel et c’est là quelque chose de très important pour moi. Je viens d’une famille foncièrement intellectuelle, qui m’a transmis un fond intellectuel très pointu. Je trouvais alors que travailler dans la mode avait quelque chose d’un peu superficiel, de futile, de pas assez noble. Mais petit à petit, plusieurs choses se sont passées. Je suis très attachée à l’idée de s’entourer de belles choses, d’une beauté au sens poétique. Il peut par exemple m’arriver d’avoir une sorte de crush en regardant un légume posé sur une assiette.
Finalement ces choses-là ne sont pas que superficielles, cela apporte du rêve, du plaisir, quelque chose qui compte dans la vie. Et j’ai compris ça un peu tard… Donc voilà, c’est l’idée qu’une chose qui peut paraître futile va en fait beaucoup plus loin. Dans la mode, c’est un fait que j’ai vraiment éprouvé. Faire que des femmes se sentent belles dans un vêtement, ça va plus loin qu’un truc d’apparence et de beauté, c’est beaucoup plus intérieur, c’est comment on se sent.
La cuisine, pour moi, c’est la même chose. Même si elle est hyper gourmande, c’est extrêmement important de faire le lien entre ce qu’on a dans l’assiette et savoir d’où ça vient. De la même façon que l’on se sent bien dans un vêtement, on se sent bien quand on mange bien.
R : Et aujourd’hui, votre mode de vie, du moins celui que l’on entreaperçoit sur Instagram, cette carte-postale bucolique, proche de la nature et des choses essentielles, en fait rêver plus d’un. Mais dans la vie de tous les jours, revenir aux sources, finalement, ça signifie quoi ?
A : Cela n’est pas aussi simple que ça n’y paraît évidemment. Il n’y a pas de secret. Aujourd’hui, quand je vous dis que je travaille comme styliste et que je développe mon activité dans l’art de vivre, en fait je travaille double. Cependant, il y a quelque chose qui relève d’une simplicité dans le quotidien. Cela fait quatre ans que l’on habite ici, avant j’étais styliste salarié [ Alice a travaillé pour la marque Paule Ka ] ; je travaille peut-être beaucoup plus maintenant mais au rythme que je veux, malgré quelques contraintes. J’ai gagné dans ma liberté de choix et pour moi, ça a vraiment été source d’épanouissement. Ça n’est pas l’équilibre parfait parce que rien ne se crée sans travailler dur. Et, aujourd’hui cela reste modeste, j’ai une petite communauté, mais les fruits que je récolte sont liés à ma rigueur, à ma discipline et à mon travail dans cette voie-là.
Après, j’essaie d’apprécier et de savourer le fait de vivre à la campagne, d’avoir un jardin, de cultiver, etc. Quand on parle de retour aux sources, pour moi c’est véridique. Il n’y a pas d’équilibre idéal mais cela va vers quelque chose de beaucoup plus sensé.
Alice préparant la pâte sablée dans La Chemise en Popeline et le Jean RÉUNI
R : Quel regard portez-vous sur le secteur de la mode maintenant que vous avez pris vos distances ?
A : Je m’y intéresse moins. Mais je me réjouis de voir que cela commence un peu à bouger vis-à-vis de la conscience par rapport au monde. Même s' il y a du « greenwashing », il y a néanmoins des actions et je pense que tout est bon à prendre dans cette voie-là. Je me souviens d’aller à Première Vision [ l’un des principaux salons professionnels du textile ], à la recherche de matières un peu éthiques et voir que tout le monde s’en foutait. C’était il y a dix ans.
Concernant la mode pointue, je suis une grande fan du travail de Marine Serre dont j’adore la démarche. C’est l’une des créatrices les plus intéressantes du moment. Comme Réuni qui, je trouve, fait quelque chose de vraiment intelligent en produisant après la commande et en faisant patienter les gens. C’est ce qui m’a plu chez eux.
«Je suis très attachée à l’idée de s’entourer de belles choses, d’une beauté au sens poétique.»
Alice dans le Cardigan
Nature morte
R : Quand on pense à la mode, aux lieux où elle s’exprime, les noms de grandes capitales viennent automatiquement à l’esprit, pas vraiment ceux de petits villages de campagne. La mode semble avant tout urbaine. Ce qui nous amène à cette interrogation : comment une styliste installée à la campagne appréhende-t-elle la mode ?
A : C’est une vraie question. Déjà l’accès à tout via internet est, évidemment, capital et essentiel. Cela permet de rester connecté. Ensuite, il y a ces « shots » de Paris que je prends à chaque fois que j’y vais, bien que beaucoup moins cette année en raison de la Covid. Autrement, en moyenne, je me rends à Paris au moins une journée par semaine ou bien tous les quinze jours. Il y a donc, malgré tout, ce bain dans Paris, ponctué de visites chez les copains, de restos, etc.. afin d’être complètement immergée dans la ville. Mais aujourd’hui, je dirais que ma démarche est moins mode, que vêtement. J’ai une garde-robe phénoménale que je porte peu parce que je m’habille forcément moins et surtout différemment à la campagne. Mais je garde le plaisir de m'habiller et ne reste pas en jogging toute la journée, seulement je vais vers des choses plus confortables, c’est aussi une question d’âge je crois.
Je suis donc forcément un peu moins connectée, j’ai un peu plus de distance et cela me va bien. Je pense que cette distance peut aussi être intéressante, je n’ai plus le nez dans le guidon. Ma créativité est extrêmement décomplexée, je n’ai pas les yeux rivés sur les autres. Je connais les marques qui cartonnent, je sais ce qu’il faut regarder. En m’installant ici, je me suis finalement aperçue que je pourrais totalement me passer de la mode, ne plus en être du tout, bien que je garde un vrai plaisir à m’habiller.
Le pain d'Alice
Alice dans le Cardigan Vert Sapin
R : Lorsque vous travailliez à Paris, qu’est-ce qui vous manquait ?
A : Je ne sais pas si je m’en apercevais. Je suis une provinciale arrivée à 18 ans dans la capitale et j’adorais Paris. En revanche, je l’ai compris en vivant ici. La façon dont on est parti avec ma femme c’est faite sans filet de sécurité. J’avais le chômage qui m’a permis de voir un peu venir, mais je n’avais pas de projet précis, j’avais seulement envie d’arrêter la mode, ce que je n’ai finalement pas fait.
Ici, ce qui a changé est notamment le fait d’être plus avoir les enfants. On travaille beaucoup mais on s’arrête, en général, à 17h pour être avec eux, manger et les coucher tôt ; puis on a soit une vraie soirée ou bien on travaille. À Paris, je partais à 18h30 du bureau mais, dans la mode, j’étais un ovni. Dans le studio j’étais la seule à avoir des enfants. Il faut aussi voir le contexte de la mode pour ce qui l’est : ce sont des personnes très jeunes, souvent sans enfants, ou bien si on en a, il vaut mieux être bien au chaud, sinon ça n’est pas possible. Je pense que ça change, je l’espère.
Donc, ce qui fait la différence en Normandie, pour moi c’est le temps — le fait de voir grandir mes enfants — et l’espace. J’ai un atelier qui me sert de workshop et un peu à tout, une pièce à moi de 40 mètres carrés, un luxe impensable à Paris. C’est un endroit assez fourre-tout. Il y a de grandes fenêtres, un lit, mon bureau avec mon ordinateur, mes moodboards sur des panneaux cadapacks, ma machine à coudre que je sors quand j’en ai besoin, des étagères qui mélangent pots à confiture et magazines. Le matin, je dois allumer l'insert très tôt pour ne pas avoir froid. On s’y habitue. Vivre dans 25 degrés, en fait, ça n’est pas l’idéal. Ici, il y a un rapport physique, celui de mettre les bûches dans l’insert.
R : Aujourd’hui, dans le contexte d’une vie à la campagne, qu’est-ce qu’un vêtement pour vous ?
A : Ça a une fonction. C’est la fonction de s’habiller et ça doit apporter de la beauté. Je porte parfois juste un pull bleu marine Uniqlo avec un jean blanc un peu large, j’ajoute une belle chaîne, une belle ceinture. C’est pas grand chose mais ça remplit sa fonction : ça me tient chaud, c’est confortable et en plus ça me va plutôt bien. C’est assez essentiel.
R : Et plutôt efficace finalement...
A : Oui mais quand même avec de la fantaisie qui fait que ça emporte. Je vais par exemple porter un bijou très spécial, quelque chose qui a du style.
« Il faut se réjouir de ne pas tout avoir »
Alice dans Le Cardigan Crème et La Chemise en Popeline
La salade de fenouil d'Alice
R : Comment définiriez-vous votre art de vivre ? Comment les objets le modèlent-il ?
A : J’ai un rapport émotionnel aux objets. J’essaie de me dire qu’il faut être capable de tout abandonner et de vivre sans. Cependant, je suis attachée à l’histoire de chacun. Depuis des années, j’avais à l’esprit une théière aperçue dans un film d’Éric Rohmer qui s’appelle Les Nuits de la pleine lune. Je l’ai finalement trouvée sur ebay. C’est quelque chose que j’adore.
J’ai eu cet article dans The Socialite Family et lorsqu’ils m’ont contactée, je trouvais bizarre qu’ils veuillent venir parce que je n’ai aucune pièce de designers. Finalement, c’est rigolo parce que je crois que cela n’est pas plus mal. J’ai des chaises chinées chez Emmaüs, je n’ai pas la table de mes rêves, ni le canapé parce que ça coûte une fortune — j’ai de vieux canapés recouverts de tissus — mais j’aime cette idée en fin de compte, celle de ne pas avoir tout tout de suite, cela donne des aspérités. Il faut se réjouir de ne pas tout avoir.
R : Quand on parcourt votre site web et votre compte Instagram, on s’aperçoit que votre art de vivre se fond dans votre créativité, à moins que cela ne soit le contraire. Selon vous, l’art de vivre a-t-il forcément un lien avec la création ?
A : Pour moi oui, mais je constate que cela n’est pas forcément le cas puisqu’il y a des personnes qui ont besoin qu’on leur montre des choses. En ce qui concerne ma manière de vivre, en gros, s’il n’y avait pas les réseaux sociaux, ça serait pareil. Bien sûr, aujourd’hui je m’investis beaucoup plus, j’ai acheté un appareil photo, je fais un peu plus de mises en scène, mais cela reste mon assiette et les plats que je vais manger, ce ne sont pas des choses qui sortent de nulle part.
«J’aime cette idée en fin de compte, celle de ne pas avoir tout tout de suite, cela donne des aspérités. Il faut se réjouir de ne pas tout avoir.»
Alice dans le Manteau, le Jean et le Cardigan RÉUNI.
R : Vous semblez assez touche-à-tout, tout en ayant vos disciplines bien à vous…
A : Cela n’a pas été évident. Quand je suis partie de Paris, au début on me disait « surtout ne dis à personne que tu pars à la campagne ». Alors, au début, je disais que j’avais un pied-à-terre, mais en fait pas du tout, je dormais chez les copains. On me disait aussi « personne ne va t’appeler, personne ne va vouloir travailler avec toi ». À présent, je pense que les choses ont changé parce que le DA avec qui je bosse aujourd’hui en freelance, Guillaume Henry, il apprécie peut-être que je ne sois pas complètement dans le mood.
Malgré tout, pendant un moment, j’avais cette tendance à presque cacher ma passion pour la cuisine et la déco, alors qu’ici j’ai réussi à les réunir et à les assumer. Pendant longtemps je pensais que le côté un peu touche-à-tout serait un frein. Je me disais que je devais choisir un seul truc. En fin de compte, pas du tout, j’ai compris que je pouvais faire des choses différentes, qui se nourrissaient entre elles. Pour l’instant cela ne me dessert pas. Mais ça a vraiment été une décision.
R : Est-ce que vous pourriez me raconter votre rencontre avec Adrien et Alice et les premières impressions qu’ils vous ont données ?
A : Alice je l’avais déjà eue au téléphone plusieurs fois. « Trop mignonne », c’est la formule qui me vient tout de suite à l’esprit. Et Adrien, quand il est arrivé je l’ai trouvé gentil et avec du charisme, il y a quelque chose qui se dégage de lui, un chic, un côté très sympa, gentil et très curieux avec une âme de businessman.
Quant au shooting photo avec Alice, Ben et Adrien, je crois que j’ai rarement autant rigolé ! Je leur avais pourtant dit de ne pas me faire rire parce que je trouve mon sourire vraiment moche mais ils n’ont pas arrêté de me faire marrer.
R : En tant que styliste, quel regard portez-vous sur Réuni ?
A : Je les suivais déjà depuis un moment parce que j’écoutais le podcast d’Adrien. J’écoute énormément de podcasts sur la philo, la socio, la mode, notamment, Les Chemins de la philosophie sur France Culture et Le Collège de France. J’ai adoré la spontanéité qui se dégage des images de Réuni. J’ai trouvé que c’était vraiment charmant. Quant aux vêtements, le cardigan notamment, c’est clairement un très bon produit, il a une grande justesse.
R : Et si vous deviez comparer une pièce Réuni avec l’un de vos plats, lequel serait-il ?
A : Je dirais un pain au levain (rire). Il y a une certaine pureté dans les lignes. Peut-être que la démarche du pain rejoint un peu celle de Réuni. Dans le pain au levain que je fais, il y a vraiment toute cette pratique qui consiste à faire son levain et puis la montée du pain qui est vraiment très lente. On peut y voir un parallèle avec la commande Réuni que l’on attend.
Alice dans le Cardigan Prune
Le bouquet d'Alice
Portrait et interview réalisés par Julia Garel pour RÉUNI
Crédit photo : Benoît Auguste