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Isis-Colombe Combréas, founder of Milk Magazine and Milk Decoration, “I like going to people’s homes and meeting people”

Le Monde de RÉUNI explore l'univers, le parcours et les points de vue d'artisans, d'artistes, d'entrepreneurs, de personnalités des industries créatives et culturelles qui contribuent à la préservation et à la valorisation des savoir-faire et qui influencent d'une manière ou d'une autre notre esthétique et notre art de vivre.

Pour ce premier épisode, nous sommes partis à la rencontre d’une femme qui a vu le paysage médiatique se transformer. Isis-Colombe Combréas fait partie de ces personnalités au parcours surprenant qui n’a de cesse de nous faire rêver à travers sa vie ou ses projets. De son enfance passée dans les îles Baléares à sa carrière grimpante à Paris dans l’audiovisuel des années 90, le fil rouge de son parcours tient sûrement à l’envie de fédérer des personnes autour d’une vision. Tour à tour assistante de production, chroniqueuse, animatrice-vedette et productrice, son ascension fulgurante dans le paysage audiovisuel aiguise son goût pour la gestion et l'entrepreneuriat. En 2003, accompagnée par son mari issu de la presse, Karel Balas, anciennement Directeur artistique du Magazine Jalou, ils créent Milk Magazine. A travers ce support ils souhaitent refléter l’émergence sociale des bobos, de leur mode de vie familial jusqu’à leurs intérieurs. Au début du magazine, la mode enfantine est au cœur de l’imagerie et puis très vite, l’environnement de Milk se diffuse à la décoration d’intérieurs : Milk Décoration est né. L’idée ? Partir à la rencontre de ces familles à la sensibilité accrue pour le beau dans le monde entier. Comme un photo-reportage, elle documente le goût pour l’artisanat, le design, en somme, tout ce qui a trait au façonnement esthétique autour du lifestyle. Morceaux choisis de notre échange avec Isis.

Retrouvez l’intégralité de l’interview sur toutes les plateformes d’écoute de podcasts, ainsi que la retranscription en bas de la page.

Quelle était la genèse de Milk Magazine ? 

 

J’ai eu mon premier fils en 1998 et j’ai décidé de faire une pause dans ma carrière dans l’audiovisuel. Les années 2000 sont arrivées et j’ai lancé le magazine Milk en 2003. Dans la mode, les années 90 étaient cool. C’était Jil Sander, Balenciaga, Ann Demeulemeester… Il y avait un très beau courant mais la réalité du grand public c’était les Spice Girls donc il y avait deux niveaux. Je me suis donc écartée des années 90 parce qu’esthétiquement parlant, c’était assez terrible et surtout je me suis rendue compte que ce qui cartonnait, c’était la télé-réalité. 

En parallèle, Jalou, le groupe de presse indépendant démarrait. Mon mari me racontait comment un magazine et les éditions se faisaient et surtout, il apportait quelque chose d’assez fou à cette édition. Il a amené la publication assistée par ordinateur (la PAO). À l’époque, les magazines se faisaient au cutter et à la bombe de colle. Venant d’une agence de pub, mon mari a proposé la maquette assistée par ordinateur et il a formé toutes ses équipes. J’ai compris grâce à lui, qui est très geek et graphiste, que l’on pouvait faire des magazines différemment avec une équipe de trois ou quatre personnes.

À quoi ressemble le monde de la presse à ce moment ?

 

Il y avait le Vogue et le magazine Glamour qui faisaient rêver tout le monde, avec notamment Emmanuelle Alt, Carine Roitfeld, Thomas Lenthal… De l’autre côté, il y avait The Face, i-D à Londres qui faisaient bouger les choses. Mon mari est donc arrivé dans le groupe de presse Jalou et le soir il me donnait souvent des débriefs de Laurent Jalou (le patron de ce groupe) et de comment il manageait ses équipes et la pub. Pour le contexte, on était au démarrage de Prada, Marni et LVMH entre autres. Quand j’ai quitté Monte Carlo TMC, j'ai eu un départ un peu fracassant. L’émission Pink s’est arrêtée, je suis partie avec peu d’argent. Je pouvais faire un pilote mais on m’a toujours dit que j’étais segmentante, que j’avais pas un physique fait pour ça. J’étais trop excentrique, originale on me faisait souvent des remarques sur ma prestation à l’antenne alors qu’il fallait être fédérateur. La question qui s’est posée à la fin de cette carrière : est-ce que je fais un pilote ou est-ce que je mets l’argent autre part. Mon mari Karel Balas me disait qu’il ne voulait plus travailler dans la presse. Il est parti pour d’autres groupes de presse, il papillonnait de magazine en magazine et rien ne lui plaisait. Je me disais qu’il était peut-être temps de faire quelque chose. On a regardé le paysage de la presse mode, design, automobile, déco.. et on a vu ce qu’il manquait. Je n’achetais pas de presse déco mais j’avais un goût esthétique pour les lieux pour diverses raisons.  J’ai eu la chance de rencontrer des gens qui avaient des appartements étonnants. Je les avais mis dans ma data visuel mais pas au point de me dire : je vais décorer mon appartement.

"J’ai eu la chance de rencontrer des gens qui avaient des appartements étonnants."

Comment s’y prend-t-on pour construire une ligne éditoriale ?

 

Quand j’avais créé l’émission Pink sur France 2, le nom ne passait pas en anglais. On a trouvé un acronyme qu’on a déposé à l’INPI : Programme d’Information Non Konformiste. Je me suis dit qu’il fallait que je reste dans ce genre de sonorité. Je me suis mise autour de la table avec une petite bande de quelques jeunes. J'avais 30 ans à ce moment. Un stagiaire a proposé le nom « Milk » et j’ai validé dans l’immédiat. Ce nom m’amusait car il n'évoquait pas la mode enfantine. Le projet de Milk s’est transformé très vite sous la pression du marché. Nous voulions faire un magazine parental inspirant. On s’est rendu compte que toutes les marques de luxe lançaient leur licence et qu’elles avaient besoin d’un support : Chloé, Burberry, Ralph Lauren, Dior, Bonpoint, Jacques à dit... Toutes ces marques étaient là et n’avaient pas de magazine donc très vite le projet s’est transformé en magazine de mode enfantine. Au départ c’était du lifestyle parental et comme le marché était là il fallait le saisir. Je ne voulais pas de nom qui soit apparenté à du vêtement enfant.

Cette esthétique, comment l’avez-vous créée ?

 

On était bercés par la presse anglaise. On a suivi l’imagerie du Vogue avec Carine Roitfeld et les photographes Inez et Vinoodh, Mario Testino… La photographie de mode était à son apogée, les marques de luxe faisaient des campagnes incroyables et très fortes visuellement. Donc on était portés par un courant esthétique photographique. On est devenus des fous de photo : on allait à Paris Photo et on achetait des photos. On faisait des salons pour enfants à Anvers, à Florence et New York. C’était un plaisir de suivre la mode enfantine. On commençait à voyager autour de la mode enfant et les gens que l’on rencontrait étaient formidables : de chez Dries Van Noten, Finger in the Nose aux jeunes photographes que Karel nous présentait de chez Jalouse en passant par Kate Berry, tous étaient très inspirants. Très vite, des personnes nous ont soutenus pour financer l’aventure. Grâce à la publicité, on est devenus l’agence du Bon Marché et de Petit Bateau. Ces deux marques nous ont beaucoup aidés parce qu'elles nous ont commandé des images. Les directrices Séverine Merle et Marie Tantet m’ont aidée à m’organiser pour faire de la publicité, des catalogues jusqu’aux campagnes métro. Fin des années 2000, je faisais l’affichage Mode Femme et Homme du Bon Marché en ayant Milk Magazine. C’était un truc de dingue. Tout le monde était ahuri : pourquoi une fille de magazine de mode enfant faisait-elle ça ?

"Au lieu de me dire : j’arrête je deviens décoratrice, je me suis dit qu'il fallait que j’aille voir ailleurs des intérieurs plus beaux, plus fous et plus originaux."

Comment a évolué l’esthétique du Milk ?

 

Indépendamment de la mode enfantine, j’ai lancé un supplément pour prendre des photos de ce ‘parquet moulure cheminée parisien avec le Coffee table book’. Ces suppléments ont eu un grand succès, surtout au Japon et c’est justement là-bas que j’ai lancé Milk Magazine. En 2006, j’ai travaillé avec les Japonais pour la première édition du Milk parental. Cette période a influencé ma vie personnelle. Ma fille Hiroko est née en 2003 comme le journal. Mon fils s’appelle Aliocha, comme dans Les Frères Karamazov de Dostoïevski  (sûrement dû à mon passage en fac de lettres (rires)). 

 

Très vite, j’ai eu ce goût pour les intérieurs, les arts décoratifs et l’artisanat. Mon père est peintre, le père de mon mari est peintre, la mère de mon mari est tapissière et maintenant céramiste. Donc j’ai un environnement chargé d’esthétique. Les appartements bobos du style : parquet, moulures, cheminée, table Noguchi et canapé Caravane m'ennuyaient. J’ai eu un goût très affirmé qui m’a mené à aller plus loin. Au lieu de me dire  : j’arrête je deviens décoratrice, je me suis dit qu'il fallait que j’aille voir ailleurs des intérieurs plus beaux, plus fous et plus originaux.

"Je ne peux pas aller au-delà de ce qu’est un magazine, je ne veux pas devenir un gourou donc c’est un support qui est là pour refléter ce qu’on trouve chez les gens, dans les restaurants, en voyage ou sur un marché à Bogota. "

Penses-tu avoir eu un impact sur le goût des gens ?

 

Moi non, mais le Milk déco oui. En quelques années c’est devenu fou. Il y a certains décorateurs ou architectes d’intérieurs qui livrent presque pour faire plaisir à Milk Décoration, nos codes, notre souci de l’artisanat, le goût pour l’artisanat populaire et le brutalisme. Tous les mouvements qu’on a voulu pousser sont aujourd’hui vus partout. J’étais très contente de voir du carrelage et du laiton avant, maintenant il n’y a plus que du bois, du carrelage marron. Il n’y a plus de rose ou de vert pomme. C’est saisissant. Par exemple, tout le monde me montre des réalisations avec le sculpteur Guy Bareff. C’est formidable, on a fait bouger les lignes. On essaie de se renouveler et de ne pas s’endormir sur cette tendance.

Je ne peux pas aller au-delà de ce qu’est un magazine, je ne veux pas devenir un gourou donc c’est un support qui est là pour refléter ce qu’on trouve chez les gens, dans les restaurants, en voyage ou sur un marché à Bogota.  

Il est dangereux d’imposer. Il y a des sociologues qui se sont rendus compte que l’artisanat marocain plaisait tellement que dans un aéroport au Mexique, on en trouvait aussi venant du Maroc. Il faut faire attention, la mondialisation de l'artisanat est une réalité. Donc il ne faut pas trop pousser notre goût parce que les artisans de pays en voie de développement vont nous livrer exactement ce que l’on veut. Il faut que tout reste avec des marqueurs forts.  Le goût que j’ai, c’est d’aller chez les gens et de faire des rencontres. C’est l’humain qui va me guider.

Comment se présentent les bureaux de Milk ?

 

Il y a un étage de vêtements, la partie shopping pour les séries photo et en dessous il y a une autre pièce avec des magazines et des meubles pour les natures mortes. 

Il y aussi mon bureau. On a la chance d’être localisés en face de l’hôtel Regina, dans le Ier arrondissement de Paris en face des Tuileries. Quand le Milk s’est lancé et pour dire qu’on était important, il fallait que je sois au cœur de la cité. Avant il y avait Colette chez qui on a fait notre lancement donc je me suis mise à côté. C’est un quartier atypique pour la presse. Aujourd’hui ça a moins de sens, on pourrait aussi bien être dans un rez-de-chaussée du XIe pour faire plus ‘factory’ et ouvrir la porte au monde extérieur. Ça fait un peu bureau de notaire mais il y a quand même du bazar.


Quels sont les objets que tu aimes ? 

 

Je chine beaucoup et j’achète du vintage. J’ai une obsession pour le bois gougé, la céramique, les bougeoirs, les livres de cuisine… Des affiches, des œuvres d’art originales que j’achète, de la presse et j’ai des petits cadeaux. En ce moment j’adore mon bureau Eames, une de mes pièces de céramique… Mais si je devais n’en garder qu’un je choisirais le livre Pierre Chapo.

Comment qualifierais-tu ton lifestyle ? 

 

La mode m’intéresse. Je suis une fan d’Acne Studio mais je n’achète pas de mode. Je m’habille chez Cos et chez Toast, une marque anglaise que j’adore et qui est très basique. Je voyage quasiment tout le temps, parfois seulement avec un sac en coton. Une fois, j’ai été battue par une mannequin qui est arrivée avec un sac à main pour 4 jours ! C’est vrai que mon lifestyle se résume au jean et pull over Uniqlo. En revanche, mon goût pour l’objet est sans limite. J’en suis même arrivée à dire à mon mari qu’il fallait être écolo et ne plus avoir de voiture. J’ai un garage au pied de mon immeuble qui me sert de stockage de vélos électriques et d’objets : des meubles, du vintage, des tapis, des tissus… On a l’impression qu’un hôtel se prépare dans mon garage alors que non !

"J’ai beaucoup voyagé et j’ai pu voir des choses magnifiques mais maintenant je n’ai pas besoin de les posséder."

Qu’est-ce qui fait que tu auras eu une vie comblée ?

 

J’ai une activité très intéressante, une équipe de 14 personnes avec qui je m’entends bien et mon mari. Je fais des reportages chez des gens exceptionnels parce que souvent les gens qui commencent à avoir de belles maisons sont des gens qui ont accumulé des collections d’art, d’artisanat et de beaux livres. Donc j’ai la chance d’aller voir des gens étonnants. Ça m’a beaucoup aidé à ne pas accumuler trop de richesse : j’ai pu avoir accès à des maisons à Ibiza, des châteaux faits par Axel Vervoordt en Belgique et des hôtels accrochés à des falaises. J’ai beaucoup voyagé et j’ai pu voir des choses magnifiques mais maintenant je n’ai pas besoin de les posséder.  Je souhaite moins accumuler et avoir des expériences un peu plus simples. J’ai eu de la chance de visiter grâce au Milk décoration des lieux exceptionnels.

En fait, tu as le meilleur job du monde aujourd’hui.

 

J’ai fait de la presse et j’ai voulu être gourou de tendances. Je dois rendre des comptes à personne. Je cours après quelques collaborations mais j’ai une grande liberté de changer la ligne éditoriale et de prendre mes décisions. On est quand même devant un inconnu : est-ce que les gens de 25 ans achètent de la presse papier ? Donc il va falloir que je transforme mon modèle parce que la presse papier est payante, le site et Instagram sont gratuits. Le Paywall [ndlr: un paywall est un système qui bloque l’accès à un contenu en ligne tant que le visiteur n’a pas fait une action obligatoire] devient la nouvelle solution déjà utilisée par de grands médias. Comme la presse lifestyle ne le fait pas, il est peut-être temps que je le fasse.

 

Pour découvrir l’intégralité de l’interview retranscrite cliquez-ici

Retrouvez également l’interview sur toutes les plateformes d’écoute de podcasts.


Crédits photos RÉUNI et Grégoire pour la vidéo. 

Références :

Milk Magazine : https://www.milkmagazine.ne

Milk Décoration : https://www.milkdecoration.com

Théorème édition : https://www.theoremeeditions.com 

Craft Gallery : https://craftgallery.fr

Fovéa Design : https://www.foveadesign.fr 

Jalouse Magazine : ://www.instagram.com/jalousemag/

Merci : https://merci-merci.com 

Le Bon Marché :https://www.24s.com/fr-fr/le-bon-marche

Cornan Shop : https://www.conranshop.fr 

Fondation Louis Vuitton, exposition Morozov : https://www.fondationlouisvuitton.fr/fr 

Musée Jacquemart-André, exposition Botticcelli, artiste et designer : https://www.musee-jacquemart-andre.com

Picto : https://www.pictoonline.fr 

Fondation Luma par Maja Hoffmann : https://www.luma.org/fr/arles 

Guy Bareff : https://www.milkdecoration.com/guy-bareff/

Étagère String : https://stringfurniture.com/fr/products/cell 

Vitra : https://www.vitra.com/fr-fr/home 

Acne Studio : https://www.acnestudios.com/fr/fr/home 

Axel Vervoodt : https://www.axel-vervoordt.com/gallery

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