The Wearabout of Marta
Chaque mois, une femme inspire.
Par son style, mais surtout par ce qu’elle traverse.
Dans ses gestes, ses vêtements, ses silences parfois, elle dit quelque chose de l’époque.
Ni muse ni mannequin, elle porte ce qu’elle vit.
Une silhouette, une parole, une façon d’habiter le monde — en RÉUNI.


Depuis le taxi, on devine déjà l’inconnu. Une ville nouvelle, encore étrangère — grise, droite, un peu lointaine derrière les vitres embuées. Varsovie. Marta nous a promis : « Je vais tout vous faire goûter, et je vous amènerai dans tous les meilleurs endroits. » Le voyage commence toujours avant l’arrivée.
Le taxi s’arrête dans le centre. Tout est haut, brillant, pressé. Gratte-ciels de verre, passants au pas rapide, lignes de tramway qui tracent la ville comme un cahier d’écolier. Pourtant, on passe la porte de l’immeuble et nous voilà isolés.


Chez Marta, tout change. Une petite bulle au milieu de l'effervescence et de la modernité. La lumière entre largement, tamisée par le vert tendre des grands arbres devant les fenêtres. Un chant d’oiseau, l’écho discret d’un immeuble calme. Il y a quelque chose de suspendu. Une douceur rare, presque fragile.
Épuré, intime, sensible. On pourrait dire cela de l’appartement, mais ce serait aussi décrire Marta. Tricoteuse, cuisinière et chercheuse, Marta est une femme dont les gestes racontent le silence des hivers longs, l’importance des détails, la beauté d’un pull bien fait ou d’un simple plat préparé avec amour. Chez elle, chaque objet semble avoir une histoire — un passé doux, un présent appliqué.


Dans cette ville marquée par l’effort de rester debout, Marta tricote comme on écrit un poème : maille après maille, avec patience et conviction. Et l’on comprend, en la regardant faire, que l’esthétique n’est pas une question de forme, mais de soin.
Autour d’un café et d’une tartine de brioche, beurre et confiture, nous nous rencontrons…


RÉUNI. Pourrais-tu te présenter ? Nous parler un petit peu de toi.
Marta. Je m'appelle Marta. Je suis tricoteuse et cuisinière. Je suis à la tête d’une petite marque de maille appelée Celestina, qui travaille exclusivement avec de la laine polonaise. J’ai étudié la littérature polonaise à l’Université de Varsovie et, pendant deux ans après mes études, j’ai animé une émission de radio intitulée Dialogues, où je diffusais de la musique ambiante et lisais de la poésie.
Je dis souvent que je ressemble à ma mère : j’aime essayer différentes choses, explorer des métiers variés, et j’ai toujours soif d’apprendre. Aujourd’hui, je vis à Varsovie, mais je suis née au bord de la mer Baltique, à Gdynia.


R. Nous sommes ici chez toi. Qu’est ce que tu aimes dans cette ville ?
M. J’aime son histoire, ses micro-mondes : les petites boutiques, les vieilles boulangeries. J’aime ses parcs, ses monuments, ses musées, son jardin botanique. Et surtout, j’aime les ami·es que j’y ai trouvé·es.
Quand je suis arrivée à Varsovie en 2016, j’ai trouvé la ville immense, presque effrayante. Pour me l’approprier, j’ai commencé à « adopter » les lieux autour de chez moi : une pharmacie de quartier, une tente où l’on vendait des légumes de saison, un cordonnier. C’est plus facile de s’ancrer quand les gens dans ces lieux te reconnaissent, et que toi aussi tu les reconnais. C’est ça que j’aime ici.


R. Comment ton environnement (ton chez-toi, la nature, une ville, un souvenir) influence ton rapport à l’esthétique ?
M. C’est difficile à dire, mais mon sens de l’esthétique vient sûrement d’une attention portée aux moindres détails—chaque feuille, chaque fleur que je croise. J’essaie d’être pleinement présente dans ces rencontres.
Mes ami·es sont très stylé·es, toujours à me parler de nouvelles marques, de friperies, de créateur·rices de bijoux. Certain·es sont même designers de mode. Leur passion pour le vintage, les textiles, la maille est contagieuse.


R. Y a-t-il un objet ou un rituel qui symbolise ton art de vivre ?
M. Je ne sais pas si on peut parler de rituel, mais je suis fière de bien manger et de bien boire. J’adore aller au sauna, lire le matin, flâner au marché aux puces du dimanche à Varsovie.
Avec tous les projets que j’ai, ce n’est pas toujours facile de préserver ces rituels. Mais parfois, les choses les plus simples suffisent : une longue douche, un petit-déjeuner partagé avec mon compagnon, une conversation sur le film vu la veille. Ces moments-là me nourrissent.


R. Quels sont les détails qui comptent pour toi, dans un vêtement comme dans la vie ?
M. J’aime les belles pièces, de qualité, qui traversent le temps. C’est une règle que j’applique autant à ce que je porte qu’à ce que je crée. Je préfère les couleurs simples, terreuses, comme la couleur naturelle de la laine.
J’ai aussi une grande sensibilité aux odeurs. L’olfactif fait partie de mon quotidien. En ce moment, avec tout ce qui fleurit, je plonge le nez dans chaque fleur. J’aime aussi sentir bon, que mes vêtements sentent bon. J’emmène mes plus belles pièces vintage au pressing, et quand je les récupère, repassées à la perfection, imprégnées d’un parfum de propre… c’est un vrai bonheur.


R. Quel est ton uniforme du quotidien ?
M. Je porte toujours mon pantalon noir élégant, à la coupe droite et simple. J’ai un grand panier en osier, un cadeau d’une amie, et un long manteau.
Je porte souvent mes chaussures Lemaire, extrêmement confortables, et depuis peu un sac magnifique de chez FANE. J’ai besoin d’avoir quelque chose aux oreilles, souvent des boucles d’oreilles faites par mon amie Anna Ławska, et une grosse bague à mon doigt. L’argent fait partie de moi—sans mes bijoux, je me sens nue !


R. Est-ce que tu te souviens de la première fois où tu t’es sentie bien dans un vêtement ? Et pourquoi ?
M. Je crois que c’était la première fois où j’ai fait un choix de mode conscient. J’avais dix ans, c’était le jour de la photo à l’école. Le thème était le jaune. J’avais mis un serre-tête jaune, un gilet jaune à gros boutons, des boucles d’oreilles jaunes à clip. Et la veille, je m’étais coupée une frange toute seule.
Depuis, j’ai traversé beaucoup de phases, mais j’ai commencé à vraiment me sentir bien dans mes vêtements le jour où j’ai adopté les longs manteaux. Ils prennent une forme particulière avec le temps, ils épousent ta posture. Ils te portent.


R. Est-ce que ton rapport aux vêtements a évolué avec le temps ?
M. Oui, depuis des années maintenant, je crois profondément au vintage. À une époque, je chinais des chemises en soie pas chères en friperie. Aujourd’hui, en plus de ça, je fais de vraies recherches sur des plateformes en ligne, je redécouvre d’anciennes collections de grandes marques, je cherche la pièce unique.
J’utilise Vinted, Vestiaire Collective, Etsy. Je continue à entrer dans les friperies locales, et j’essaie toujours de dénicher de beaux bijoux de qualité sur les marchés. J’adore une belle étiquette, une coupe originale.


R. Un geste appris, hérité, pour t’habiller ?
M. Je ne sais pas si c’est un héritage, mais chaque hiver, comme ma mère et ma grand-mère avant moi, je porte des collants—et je passe la saison à les remonter.
Pendant les jours de grand froid, ils sont indispensables. Toutes les femmes de ma famille en portaient sous leurs pantalons ou leurs jupes longues. Et toutes se plaignaient. Un jour, quelqu’un inventera peut-être enfin une paire de collants qui tient en place !


R. Un mot pour décrire l’esprit RÉUNI, sans jamais parler de vêtement ?
M. Confort. C’est comme manger des pommes de terre après un long voyage.


R. Et si tu devais composer une silhouette RÉUNI pour quelqu’un que tu aimes : que choisirais-tu ?
M. Je choisirais mon amie Nina—ma meilleure complice en matière de style. Elle aime la belle maille, un bon jean. Elle travaille dans une galerie d’art à Londres. Pour elle, je choisirais votre Chemise en popeline blanche, et un Cardigan marron.


R. Quelles sont tes 5 adresses préférées à Varsovie ?
M. La brosserie au 26 rue Poznańska – Monsieur Baryliński y fabrique des brosses à la main, comme le faisaient son père et son grand-père avant lui. L’atelier existe depuis 1925, et a changé de lieu plusieurs fois après la guerre, avant de s’installer ici en 1955. C’est là que j’achète toutes mes brosses. Un jour, je lui ai demandé quelles brosses il ne fabriquait plus. Il m’a parlé de brosses pour calèches, de modèles délicats pour horlogers, d'autres pour enlever les miettes sur les tables, ou encore pour appliquer du goudron sur les toits. Il m’a même montré une brosse étrange, faite avec des poils d’oreille de veau, utilisée pour la dorure artistique.




La boulangerie au 64 rue Żelazna – On y trouve les meilleurs biscuits et gâteaux. Les étagères débordent de douceurs colorées, et en hiver ils préparent les plus délicieux pains d’épices au miel.


Le bar à lait Rusałka, 14 rue Floriańska – Une vraie expérience de la cuisine polonaise traditionnelle. Les bars à lait étaient très populaires dans les années 70–80, des lieux où l’on pouvait bien manger pour peu cher. Celui-ci a gardé son âme : des plats qui rappellent ceux de ma grand-mère, des assiettes anciennes, du bois sur les murs, et de grandes marmites dans la cuisine.




Le Bar Kawowy, 66a Aleja Solidarności – On y boit une bière, on mange une saucisse. Il y a des rideaux kitsch zébrés orange, une vitrine à gâteaux à l’ancienne. La plupart des gens y commandent une bouteille de vodka—comme moi, parfois, pour mon anniversaire.
Hala Mirowska – Là où je fais mes courses du samedi. Ce marché existe depuis 1902. C’était autrefois le lieu d’arrivée des premières épices et légumes exotiques en Pologne. Aujourd’hui, c’est un labyrinthe de stands de viandes, poissons, fruits. J’y vais chaque semaine.





