"J'adore l'inachevé. J'aime les choses cassées. J'aime ce qui fait sens pour moi."
La terrasse ensoleillée de sa maison à Barbizon.
Charlotte Huguet.
Le Monde de RÉUNI explore l'univers, le parcours et les points de vue d'artisans, d'artistes, d'entrepreneurs, de personnalités des industries créatives et culturelles qui contribuent à la préservation et à la valorisation des savoir-faire et qui influencent d'une manière ou d'une autre notre esthétique et notre art de vivre.
C’est dans sa maison en bois en lisière de la forêt de Fontainebleau, que Charlotte Huguet nous reçoit. Charlotte fait partie de ces personnalités magnétiques avec lesquelles on pourrait rester discuter des heures. Cette parisienne a fait le choix il y a maintenant 8 ans de quitter la capitale pour s’installer avec son mari Emiliano et ses deux enfants à Barbizon, petit village d’artistes de Seine-et-Marne où ils ont rénové une ancienne bâtisse laissée à l’abandon des années durant. Après plusieurs années de gros travaux, la famille savoure enfin la douceur d’une vie rythmée par la nature, l’escalade et les balades en forêt. Une slow life qu’ils ont choisie, mais pour laquelle ils se sont aussi battus.
Styliste de formation, Charlotte Huguet fait ses armes au magazine ELLE pendant plusieurs années, où elle travaille tour à tour pour la mode, l’art de vivre mais aussi les voyages. Aujourd’hui directrice artistique et styliste indépendante, elle partage son temps entre les shootings à Paris et sa vie à la campagne. Créative depuis toujours et hypersensible elle a fait de ses émotions une force qu’elle aiguise quotidiennement. Son esthétique dépouillée, épurée, se ressent dans la conception de sa maison où les matériaux naturels ont la part belle et où la lumière est centrale.
Celle qui nous confie aimer l’inachevé - à l’image de sa maison en perpétuelle évolution - nous emmène dans son épicerie de village favorite ainsi qu’à la Folie Barbizon, un hôtel - résidence d’artistes installé depuis 2019 en plein cœur du village.
Retrouvez l’intégralité de l’interview sur toutes les plateformes d’écoute de podcasts.
Le Monde intérieur
Bonjour Charlotte, pour commencer peux-tu te présenter ?
Bonjour, je suis Charlotte, j’habite à la campagne dans un village qui s’appelle Barbizon avec mon mari Emiliano qui est ébéniste, et j’ai deux garçons Leonardo et Solal qui ont douze et quatorze ans.
Nous sommes chez toi, peux-tu nous décrire cet endroit et où sommes-nous géographiquement ?
On est dans le village de Barbizon dans la forêt de Fontainebleau, on habite ici depuis 8 ans. On est exactement dans mon salon, salle à manger, qu’on a restauré avec mon mari, qui est une pièce très lumineuse en bois fabriquée par Emiliano. On aime beaucoup être dans cette pièce car elle est traversante, on a de la lumière de toutes parts et elle communique avec la cuisine, l’entrée, le salon.
Une chaise fabriquée par Emiliano.
Comment êtes-vous arrivés à Barbizon et comment avez-vous trouvé cette maison ?
On habitait à Paris avec Emiliano, dans le 12ème arrondissement ; on a eu nos deux garçons là-bas. On s’est rendu compte que c’était difficile d’avoir des enfants dans cette ville, et mon mari qui est donc ébéniste, se sentait étriqué dans son atelier. On a cherché autour de Paris et la forêt de Fontainebleau nous plaisait énormément car elle est très lumineuse et un peu magique (rires). Donc on a cherché autour de Fontainebleau, et Barbizon nous a beaucoup plu parce qu’il y a une vraie vie de village. On a trouvé cette maison qui était en ruines et abandonnée - ce fut beaucoup de travail car elle était très en souffrance. Et puis à un moment donné on a compris que la maison nous avait adoptés et que nous étions les bienvenus !
On se trouve dans la partie historique de la maison, vous avez dû tout refaire ?
On a dû tout reconstruire. Il y a une partie existante de la maison qui est classée, on a dû préserver la façade puis on a désossé la structure, on a déplacé les murs et refait l’escalier. On a cassé une extension préexistante pour en refaire une nouvelle toute en bois. On a cherché à faire une maison très bien isolée sur le modèle scandinave pour préserver l’énergie et la chaleur. La maison est tout en bois. On a vraiment mis quatre ans à la restaurer. On ne partait pas d’une page blanche puisqu’on partait d’une maison cassée. Mais si on avait eu le choix, cela aurait été plus simple de construire une maison neuve. Désosser la maison c’était un travail titanesque, avec beaucoup de gravats et comme on est tous les deux créatifs, c’était assez chaotique. Mais c’est aussi pour ça qu’elle est originale. On l’a façonnée doucement et de l’intérieur et on a repensé l’espace de manière très instinctive.
Comment décrirais-tu ton esthétique ?
J’adore l'inachevé. J’aime les choses cassées, les détails. J’aime ce qui fait sens pour moi. Le beau c’est très personnel. Pour moi c’est une tasse trouvée dans une brocante, un morceau de bois, des objets sensibles, qui n’ont pas forcément de valeur pécuniaire, mais qui donnent du sens à mon monde.
Nous sommes maintenant dans la cuisine, peux-tu nous la décrire ?
Pour la cuisine Emiliano l’a façonnée lui-même au fur et à mesure. On a ce grand plan en marbre que nous sommes allés chercher en Italie dans la région des Cinq Terre. Il y a aussi des pierres volcaniques. Sur les façades de la cuisine on a de la loupe d’orme, tout a été pensé sur-mesure. Pour le sol on a acheté des carreaux en Espagne. On cherchait les matériaux dont nous avions besoin de façon très décousue, on recevait les choses au fur et à mesure. Rien n'était très organisé, mais cela nous a laissé une grande liberté.
Peux-tu nous parler de ton bureau ?
Ce bureau Emiliano me l’a fait pendant le confinement, et c’est vraiment devenu après coup ma chambre à moi. Nous n’avons pas de portes chez nous, tout est ouvert. Donc mon mari m’a fabriqué ce bureau dans un moment où nous étions tous enfermés chez nous, à nous remettre en question et à essayer de redéfinir le sens de notre vie, et ça m’a beaucoup soutenue. Il m’a aussi fait une chaise qui est incroyable. Le fait qu’il soit un bâtisseur et qu’il puisse fabriquer des choses à partir de chutes de bois, ça m’a réconfortée pendant le confinement.
"Le beau c’est très personnel mais pour moi c’est une tasse trouvée dans une brocante, un morceau de bois, des objets sensibles, qui n’ont pas forcément de valeur pécuniaire, mais qui donnent du sens à mon monde. "
Vous recevez beaucoup ici ?
Oui on adore ça, on reçoit énormément. Et puis le fait de vivre à la campagne ça change tout, avant à Paris on était trop nombreux donc on ne pouvait pas accueillir nos amis avec leurs enfants. Ici, il n’y a pas de limite, on peut commencer la journée en invitant un couple d’amis et la finir en invitant 60 personnes et ça passe (rires). On fait un risotto ou des pâtes, c’est facile à faire pour beaucoup et c’est très agréable d’improviser.
Vous avez l’air de prêter beaucoup attention au recyclage et d’avoir peu d’impact ?
C’est instinctif, ce n’est pas réfléchi, mais on achète très peu. On achète vraiment ce dont on a besoin pour manger, et ce dont on a besoin pour se vêtir et ça aussi ça a beaucoup changé. J’ai l’impression qu'avant j’achetais pour compenser une frustration, parce que j’étais très affectée par le monde extérieur un peu dur, et j'achetais pour me rassurer. Et ici je n'en ressens plus besoin, donc je rapièce les pantalons troués de mes enfants. L’objet va revivre et ça ça me fait plus de bien. La campagne permet une certaine mise à distance et on se rend compte que l’on a pas besoin de tout ça. Moi qui travaille dans la déco depuis plus de 20 ans, je me suis rendue compte que j’étais très gâtée mais que cela m’étouffait et que je n’en avais pas besoin. En vivant ici, je suis dans l’espace de l’épure, je donne aux gens en essayant que cela ait du sens pour eux. C’est comme une passation.
La pièce à vivre, ouverte sur l'exrérieur.
Accumulation de livres dans la chambre.
Tu fais de l’escalade, quelle est la place du sport dans ta vie ?
En fait j’ai découvert que j’étais sportive en habitant ici. Je crois que j’ai toujours été très mince donc j’ai toujours été bonne en sport à l’école mais sans en faire beaucoup. Et j’ai découvert l’escalade ici avec des amis qui sont des grimpeurs confirmés. Et c’est agréable d’apprendre avec des personnes qui maîtrisent et qui t'accompagnent dans la forêt. C’est très agréable comme sport car les gens autour de toi sont très enthousiastes et te motivent. C’est comme une chorégraphie, j’ai une amie quand elle bouge sur un bloc on dirait un chat. Et puis c’est aussi la vie de la forêt, il y a des gens qui grimpent d’autres non, on pique-nique, les enfants font des cabanes. Ce qui change de Paris, parce que pour t’occuper tu consommes. Et puis il ne faut pas perdre les enfants de vue, cela va vite, il faut tout anticiper. Alors qu’ici c’est plus simple.
Quelle est ta relation au vêtement, ton uniforme ?
Je crois que j’aime beaucoup changer. Je peux à la fois mettre une robe à carreaux comme un costume d’homme, je m'habille selon mes humeurs. Je n’ai pas tellement de style défini. C’est plutôt des pièces qui vont me plaire. J’achète beaucoup en seconde main et je me suis rendue compte que je pouvais tout retailler, comme je suis un tout petit gabarit je recoupe et tout est faisable. J’aime bien déborder. Pendant le confinement je repensais au métro et aux gens qui vivaient un peu dans une sorte d’uniformisation et moi j’ai besoin de vivre un peu à côté de ça. Je veux juste être moi pour moi. Je suis assez imperméable aux regards. Mais je ne saurai pas vraiment comment définir mon vestiaire.
Tu es styliste, peux-tu nous parler de ton métier ?
Alors j’ai commencé par faire des études d’art dans une école qui s'appelle Duperré et après j’ai tout de suite commencé à travailler pour le magazine ELLE pour les pages art de vivre, puis pour les pages Enfants quand mes enfants étaient petits. Je travaillais sur les sets design, mais aussi sur des sujets voyages et des sujets food. Petit à petit j’ai commencé à travailler à côté en tant que styliste indépendante déco, mode, enfants puis en tant que directrice artistique et je prends beaucoup de plaisir à faire mon métier parce que je travaille avec plein de gens différents et ça j’adore. C’est toujours très agréable de changer d’équipe de rencontrer des gens avec une sensibilité proche de la mienne.
D’ailleurs, ça veut dire quoi être styliste ?
C’est une bonne question que l’on ne m’a jamais posée (rires). Je crois que je suis créative. Mes parents m’ont poussée à faire une école d’art, Duperré, parce qu’ils voyaient que c'était un endroit dans lequel je me sentais heureuse, j’y étais à ma place. Quand je mets en scène, je me sens à ma place. Et donc je cherchais un métier qui me permette ça, et c’est le cas du stylisme. C’est un exercice que je fais avec beaucoup de facilité, de mettre en scène, d’agencer des objets, je sais comment faire pour que l’air passe entre les objets, pour que se soit équilibré. Et j’ai appris aussi à déséquilibrer une photo ce qui souvent est plus intéressant parce que l’inconscient prend le dessus. J’adore travailler avec des photographes car ça me permet de ne pas tout maîtriser et d’apporter ma part en me laissant porter par le regard de quelqu’un que j’ai choisi. Et après c’est adaptable à tout : c’est habiller quelqu’un qui souvent est un reflet de soi-même, c’est mettre en scène un repas, des objets. Quand les enfants étaient petits je faisais beaucoup de sujets avec eux, c’était des petites muses. J’aime le non maîtrisé. C’est comme attraper une espèce de danse, qui se fige dans une image.
"Aujourd'hui, je veux juste être moi pour moi."
Robe à carreaux rouge et bleu.
Les Santiags de Charlotte.
Qu’est-ce que tu aimes dans les photographes ou créatifs avec lesquels tu travailles ?
La sensibilité du regard. Parvenir à capturer une certaine beauté avec subtilité. En tout cas moi c’est ce qui me parle, car je n’aime pas quand c’est trop chargé, je n'aime pas quand on raconte trop. J’aime quand on accepte l’idée de ne pas tout maîtriser et de montrer la beauté du naturel. Une courbe, un geste, une émotion. Quand un photographe arrive à montrer ça, ça me touche. C’est tout ce qui est dans la délicatesse. La délicatesse du geste. Comme une coiffeuse-maquilleuse qui fait peu de gestes, elle donne de la lumière à un visage, juste du soin, pour que les gens soient biens, sans les dénaturer pour montrer du vrai.
Comment as-tu construit ta patte et ton ADN ?
C’est vraiment une introspection, ça prend du temps. Parfois on fait des images que l’on ne voudrait pas faire, parce que l’on n’a pas le choix. J’ai mis du temps à me défaire des projets que je n’aimais pas, mais un jour j’ai accepté de ne montrer que ce que j’étais et que ce que je voulais laisser voir. Et puis ce sont aussi des rencontres. Quand je suis sortie de Duperré j’avais mon diplôme mais je ne savais pas quoi faire avec, je suis rentrée au magazine ELLE et j’y ai trouvé une famille et c’est très important pour moi. A cette époque-là il y avait une rédactrice qui s’appelait Mireille Assenat qui est devenue ma mère adoptive, un modèle et qui m’a appris le bon goût ou en tout cas ma notion du bon goût. Une certaine odeur de bougie, un textile, une atmosphère particulière. Et ça m’a beaucoup appris, et petit à petit j’ai découvert mon propre univers, mais j’ai mis du temps à accepter que ce ne soit que le mien.
"J’aime quand on accepte l’idée de ne pas tout maîtriser et de montrer la beauté du naturel ; une courbe, un geste, une émotion."
La petite épicerie bio de la Grande Rue de Barbizon
Charlotte avec Pauline, qui a ouvert l'Épicerie Végétale de Barbizon
Le monde extérieur
Nous sommes maintenant chez Pauline qui a une épicerie bio dans le centre de Barbizon qui s’appelle L’épicerie végétale. Pauline peux-tu nous expliquer le concept de ton commerce ?
Pauline : on est dans la Grande Rue de Barbizon et moi j’ai monté une petite épicerie bio il y a deux ans maintenant. Je ne fais pas que de l’épicerie car je vends aussi des fruits et des légumes, mais aussi des objets déco en fibres naturelles, des paniers, des planches à découper….Tout est bio. J’ai aussi de la céramique qui vient du Portugal, des créations artisanales. A l’étage il y a aussi des housses de coussins.
Et maintenant tu nous emmènes à la Folie de Barbizon, qu’est-ce que tu aimes dans ce lieu ?
Parce que c’est un endroit que j’aime beaucoup, Lionel Bensemoun a acheté cet hôtel 6 mois avant le confinement, et ça change beaucoup l’énergie du village. C’est un hôtel-restaurant et résidence d’artistes. Ça donne beaucoup d’énergie, et ça permet beaucoup de mixité et de mélange. Il y a plein d’artistes qui sont venus en résidence et qui ont laissé des œuvres ici. Par exemple, les rideaux sont faits dans une teinture végétale par Ninon Gavarian.
L'hôtel restaurant, résidence d'artistes.
L'hôtel-restaurant "la Folie" à Barbizon.
Pour passer le flambeau, j’aime demander à mes invités qui ils souhaiteraient entendre dans ce podcast ?
J’ai déjà entendu des gens que j’aime beaucoup dans ce podcast comme Alice Rocca et Marion Graux. J’aimerais beaucoup Gesa (Hansen) Estelle (Marandon), mes deux amies avec qui j’ai monté le projet Countryfication. Plus je travaille avec elles et plus je les aime.
Retrouvez également l’interview sur toutes les plateformes d’écoute de podcasts.
Crédits photos RÉUNI.
Références :
Le compte Instagram de Charlotte Huguet : https://www.instagram.com/charlottehuguet/
Le livre Countryfication : https://www.instagram.com/countryfication/
L’épicerie végétale de Barbizon, 56 ter Grande Rue : https://www.instagram.com/lepicerievegetale_barbizon/
La Folie Barbizon : https://www.instagram.com/lafoliebarbizon/
Le compte d’Alice Rocca : https://www.instagram.com/aliceinfood/
Le compte de Marion Graux : https://www.instagram.com/mariongrauxpoterie/
Gesa Hansen : https://www.instagram.com/gesahansen/
Estelle Marandon : https://www.instagram.com/estelle_marandon/